On pourrait croire (ce fut mon cas) au vu de l’affiche, du grain de l’image ou de la bande annonce - ne jamais juger un film sur sa bande-annonce -, que Le Cheval venu de la mer a mal vieilli. Il n’en est rien. Il y a beaucoup de bonnes idées dans ce film - et qui vieillissent très bien ! Beaucoup d’éléments qui surprennent, inscrivant le récit dans une mystique inattendue (ici une mystique bohémienne), dans un contexte social prégnant (la grisaille boueuse et verticale des cités HLM s’opposant à la profondeur des paysages irlandais, d’un gris teinté de vert flamboyant) ; mais aussi dans une cinéphilie très intéressante - avec cette merveilleuse idée du « cinéma-refuge ». Beaucoup de choses qui donnent de l’épaisseur à un voyage initiatique somme toute classique avec ses héros, ses sauveurs, ses bonnes fées ; et ce superbe et mystérieux cheval blanc qui ne manque pas de soulever maints émerveillements.


Au cours de leur fugue vers l’ouest irlandais (Into the West est le titre original du film), Ossie et Tito, poursuivis par la police et cherchant un endroit où passer la nuit avec Tir na nOg (le mystérieux cheval venu de la mer - en gaélique « la Terre de l’éternelle jeunesse »), trouvent refuge à l’intérieur d’un cinéma. Ce ne sera pas qu’un simple abri. Le petit cinéma de province leur offre de quoi se nourrir et s’hydrater (de pop-corn et de soda bien sûr) ; mais aussi se distraire. Après être entrés dans la cabine de projection, nos deux jeunes aventuriers trouvent le moyen de projeter un film. Il s’agira de Retour vers le futur 3. On les voit donc tous les trois (eh oui le cheval regarde aussi) assister à l’une des scènes du film : le moment où la DeLorean se retrouve catapultée en plein Far West.


Ce n’est pas un hasard. Le Far West, élevé au rang de mythe par les westerns américains, ne cesse d’alimenter l’imaginaire des deux enfants. Peut-être y trouvent-ils un autre type de refuge, disons affectif. Ils ont perdu leur mère très tôt et se retrouvent livrés à eux-mêmes face à un père qui noie son désespoir dans l’alcool. Ce sont également de véritables déracinés. Ils appartenaient autrefois à la communauté des tinkers (un groupe de nomades irlandais) et vivent maintenant, contraints et forcés par la volonté paternelle, comme des sédentaires - aux yeux desquels ils restent des étrangers (c’est le gros dilemme moral du film). Ainsi Tito et Ossie, du haut de ce cheval magique, qui leur révèlera un lourd secret de famille, se voient-ils comme deux cow-boys arpentant le Far West… mais irlandais.

Il y a d’ailleurs une scène assez cocasse où l’imaginaire des enfants prend le pas sur le réel : en se retrouvant par hasard au beau milieu d’une chasse à courre, les deux aventuriers se croient cernés par… la cavalerie ! Enfin cette question, à la toute fin du film : « Papa, les bohémiens c’est des cow-boys ou des indiens ? ». Et une très belle réponse du père. Jusqu’au bout, le western restera pour nos deux apprentis cow-boys une perspective infinie de rêverie, une invitation au jeu, aux rôles à endosser pour oublier la dureté du quotidien ; la promesse d’un imaginaire riche et foisonnant dans lequel trouver refuge.


Et j’en reviens à nos trois larrons en train de regarder Retour vers le futur. Il y a un détail étonnant dans cette scène ; et qui produit un bel effet. Le cheval se trouve être devant le projecteur. Son ombre est donc projetée sur l’écran (ce qui ne gêne nullement les deux enfants), en plein Far West. Celle-ci se superpose aux images des indiens, aux couleurs du désert américain. Dès lors, ce sont deux imaginaires qui se confondent. Sur l’écran de cinéma se projettent alors des désirs multiples : ceux de deux enfants perdus, deux orphelins du chagrin de leur père. Est-ce leurs rêves qui prennent ainsi la forme d’une silhouette de cheval, noyée dans ce désert lointain et désiré ? Un cheval bien étrange, qui pourrait être une mère trop tôt disparue ? Une magnifique image de cinéma.

jroux86
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le 22 août 2024

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jroux86

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