Le choc.


Oui, ce fut un choc. Un sacré choc même que ce film. Je veux parler du mal-nommé "Le Choc des Titans". J’avais été atterré lorsque je l’avais découvert en salle, à sa sortie. Dieu sait pourquoi, après avoir revu le très correct « Troie » récemment, j’ai eu envie de redonner à ce choc une seconde chance. Mais pourquoi bordel ?!? Ce film est un massacre. Celui, à grand coup de glaive, de la mythologie grecque à l'aide d'acteurs qui, au mieux, semblaient s'amuser de leur propre présence, au pire, avaient l'air de se demander ce qu'ils foutaient là. Sans parler de ceux (Ralph Fiennes ? Liam Neeson ?) pris en falgrant délit de compromission alimentaire.


Bref, parlons un peu du scénario pour rire. La vie de notre ami Persée n'est pas drôle. Trouvé à sa naissance par un gentil pêcheur et sa gentille femme, il sera élevé comme un humble pêcheur (ce qui fait deux fois « pêcheur » mais le film insiste sur ce point… insistons donc). Mais la vie est dure. La pêche est rarement bonne et un jour, son père se met en colère contre la tyrannie des dieux (s'il n'y a pas de poissons dans les filets, c'est que les dieux sont très vilains) et prononce cette phrase clé: "Un jour, quelqu'un devra s'insurger! Un jour, quelqu'un devra dire, ça suffit!". Quelque temps après, Persée et sa famille arrivent près d'Olympie et voient des soldats de la ville d'Argos détruire la statue de Zeus. Apparaît alors Hadès, fort mécontent, qui détruit ces soldats et, sans aucune raison, coule le navire de Persée, tuant sa famille au passage (cela ne présente pas le moindre intérêt, à part de servir « d’élément déclencheur » pour le film...). Puis le dieu de la mort (donc forcément très méchant dans la logique US, je reviendrais là-dessus) s'en va visiter sa famille dans l'Olympe et parvient à convaincre Zeus que si les hommes ne veulent pas le vénérer gentiment, il va falloir les y forcer en leur infligeant la peur. Ce bon Zeus bien naïf se laisse gentiment berné et donne carte blanche au maître des enfers. Pendant ce temps, l’ami Persée est récupéré par les gens de l'Argos et amené à son roi, Céphée, pour décider de son sort. Suite à une intervention d'Hadès qui menacera de relâcher le Kraken (un monstre marin redoutable) à moins que le peuple de l'Argos n'accepte de sacrifier la princesse Andromède, on apprendra qu'en réalité Persée est un demi-dieu et le fils de Zeus et donc qu'il est le seul à pouvoir sauver tout le monde.


Je suis surement trop attaché à mes références mythologique, mais la capacité qu'ont les réalisateurs qui travaillent à Hollywood (ici pourtant, c'est un petit Français: Louis Leterrier) à piétiner et vomir sur la mythologie, l'histoire et les cultures classiques ne cessera jamais de me surprendre. Ici, la figure de Zeus s'identifie clairement au Dieu judéo-chrétien version "Ancien Testament", c'est-à-dire un dieu qui a créé les hommes, qui les aime, mais qui doit parfois se résoudre à les punir pour leur rappeler leur place. C'est absurde: chez les grecs anciens, les dieux ne sont pas des créateurs. D'ailleurs, eux-mêmes ont été créé. Ils ne sont pas éternels mais immortels. Et vouloir assimiler Zeus au dieu judéo-chrétien est un raccourci aussi facile que stupide trahissant, au mieux, une profonde ignorance de la question, au pire, une malhonnêteté intellectuelle totale.


Hadès, quant à lui, sert d'épouvantail, de dieu du Mal, ce qui est une aberration. Une bonne fois pour toute, la notion de pêché n'a aucun sens dans la religion grecque antique. D'ailleurs, le terme de "religion", avec son cortège de dogme et son église dédiée n'en a pas davantage. La spiritualité grecque antique était faite d’un cortège de superstition diverses, aux pratiques souvent variables d’une région à l’autre, et menée par un clergé local qui ne possédait aucune organisation à grande échelle. Tout comme la Grèce elle-même était constituée de cité-états, la religion elle-même se limitait à l’échelle locale. Tout, en Grèce, de la politique à la spiritualité, était conçu à l’échelle de l’homme.


Pour en revenir au « péché », il n’y a pas à proprement parler de notions de moralité dans la spiritualité grecque classique. Il y a par contre une notion de destinée appelée "Moira", qui représente le "lot" de chacun, ce qu'un être est sensé pouvoir obtenir (matériellement et spirituellement) durant sa vie. Aussi existait-il un crime d’orgueil, appellé Ubris (ou Hybris), où le fautif cherchait à dépasser sa Moira, à obtenir davantage que la « juste part » que le destin avait prévu pour lui. Ce faisant, il s'exposait à un contrecoup appelé "Némésis", à la hauteur de sa transgression. Par conséquent, le "bien" ou de "mal" n’avait pas de sens. Et le pêché non plus !


De même, Hadès n'était pas un dieu maléfique, juste le gardien du monde des morts, et par extension le grand ordonnateur de la distribution du Némésis de bon nombre d'orgueilleux à qui il réserve les supplices du gouffre du Tartare. C'était un dieu Chtonien et froid, certes, mais pas un être cruel qui se délectait de la souffrance. C'était un juge, un être impartial, souvent représenté comme un homme mûr et sage qui punissait ou récompensait, en se basant sur les actes. Et si la compassion était absente de son concept, il n’en restait pas moins juste. Enfin, il était également le gardien de la corne d'abondance, car en tant que maître du royaume souterrain, il était le maître des richesses (végétales et minérales) provenant du sol. En cela, on pouvait même le rapprocher d'une force positive. Mais bon, voilà, à Hollywood, il faut un méchant, et si on fricotte avec les morts, on en est nécessairement un.


J'avais vu le même problème dans "La Momie 2", avec Anubis chez les égyptiens, érigé lui-aussi en "dieu du mal". Encore plus stupide et pour deux raisons: d'une part, il existe déjà un dieu "mauvais" (si tant est que ce terme puisse avoir une signification philosophique dans l'égypte des Pharaons), en l'occurence Seth, l'assassin d'Osiris. Et d'autres part, parce qu'Anubis est un dieu doté un rôle équivalent à celui du Charon grec ou de l'Ankou celte, à savoir celui de passeur, celui qui guide les âmes des morts vers l'autre monde, mais rehaussé d’une composante clairement positive. Car Anubis était un gardien, un protecteur qui s'assurait que l'esprit du disparu ne s'égarerait pas dans les limbes et qu'il arriverait à destination en sécurité. Rien à voir avec un assassin furieux désireux de massacrer toute vie. Mais je m'égare.


Pour en revenir au Choc des Titans, l'occidentalisation forcée et maladroite de toute l'iconographie grecque m'a vraiment filé la nausée. Et si encore cela avait été bien fait, j'aurais pu le tenir. Mais le scénario était mal construit, mal enchaîné, mal joué. Des personnages entrent et sortent sans raison particulières et Zeus ne sait pas ce qu'il veut (il aime les hommes mais veut les punir, mais il aide quand même Persée à guider la révolte des hommes contre les dieux).


Pourtant, ce n’est pas compliqué d’adapter proprement un récit mythologique ! Il ne s’agit pas de mettre en image bêtement un récit de 3000 ans. Chaque type d’expression artistique (du cinéma au récit ancien, en passant par la bande dessinée ou la musique) possède sa propre grammaire, son propre langage. Et si des emprunts, voire des néologismes sont possibles, tout n’est pas interchangeable. EVIDEMMENT il y aura un gros travail d’adaptation à faire. C’est pourquoi l’angle purement « historique » de Troie (dénué de toute forme de surnaturelle) était très intéressant et représente, à mon sens, un « bonne » adaptation d’un récit mythologique. Mais le Choc des Titans bordel ! NON ! C’est une insulte à l’intelligence, un gros doigt à l’histoire et un piratage culturel à vomir. Et en plus, même en tant que film, il est mauvais.


Définitivement, il n’y a rien à sauver dans cette croute.

Kayn
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le 7 avr. 2015

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