Le choix de Joseph

Joseph Cross est encore sur un chantier (la plus importante coulée de béton de la décennie) en ce début de soirée lorsqu'il reçoit un appel téléphonique qui le bouleverse, le fait quitter le chantier et prendre la route.

On ne connaîtra la teneur de l'appel et la destination que progressivement, au fur et à mesure que Joseph avale les kilomètres. Le réalisateur se chargeant de nous mettre sur quelques fausses pistes.

Ce film aurait pu (dû) s'appeler La décision voire Les décisions, car tout au long du voyage, Joseph alternativement en ligne avec son fils, puis l'autre, sa femme, son patron, un collègue, une jeune femme, aura plusieurs décisions cruciales à prendre mettant en péril son avenir personnel et professionnel.

L'exercice de style de placer un acteur (mais quel acteur !) seul dans l'habitacle d'une voiture pendant 1 h 20 est risqué et offre peu de possibilité de cinéma. Je comprends que le résultat puisse rebuter et paraître incompréhensible mais je l'ai trouvé absolument fascinant. Bien sûr nous sommes face ici à une performance d'acteur qui doit tout seul (ou presque, puisqu'il y a de nombreuses interventions des autres personnages qui resteront invisibles à l'écran) maintenir l'attention du spectateur, mais le pari est réussi en ce qui me concerne. Il faut dire qu'au volant se trouve Vincent Lindon, l'acteur capital qui est ici successivement et simultanément père, mari, amant, collègue et employé. Pour s'adresser à chaque interlocuteur il adapte son phrasé, son timbre, son attitude pour se montrer tour à tour tendre, désolé, agacé, directif, humble, rassurant, consolant, navré, misérable.

Pendant son voyage que rien ne perturbera, il a fait son choix, Joseph rassemble tous les arguments à sa disposition pour exposer aux uns et aux autres sa détermination à essayer de rester un type bien, prendre ses responsabilités malgré tous les dégâts que cela peut causer autour de lui et les bouleversements que cela va forcément induire sur sa vie. Après cette nuit, plus rien ne sera comme avant.

Ce qui arrive à cet homme sûr de lui, fiable jusque là n'est pas banal et Vincent Lindon lui offre sa stature et son attitude sincères, responsables, bousculé par des évènements déstabilisants. L'acteur est époustouflant dans l'exercice. Et la tension est maintenue d'un bout à l'autre et entrecoupée par les interactions avec les autres personnages qui réussissent à s'incarner sans être là. Il faut dire que les voix sont reconnaissables et parfaitement pertinentes. Micha Lescot réussit même l'exploit de nous faire sourire à plusieurs reprises.

Quand ça s'arrête, j'aurais aimé que le voyage soit un peu plus long. La voix, le regard, le texte de Vincent Lindon, tout est juste en permanence. Une performance de plus pour cet immense acteur.