Le Choix des armes par pierrick_D_

Serge,vieux truand blanchi sous le harnois,s'évade de prison en compagnie de son codétenu Mickey,jeune chien fou complètement à la masse.La cavale tourne mal et ils atterrissent chez Noël Durieux,ami et complice de Serge dans une autre vie et désormais rangé des voitures qui est devenu un paisible et prospère éleveur de chevaux.Les ennuis vont se mettre à voler en escadrille et la belle existence bourgeoise de Durieux va voler en éclats.Le réalisateur Alain Corneau a connu une période incroyablement féconde entre 76 et 81,lors de laquelle il s'est imposé comme le caïd du film policier français avec sa trilogie "polar-Montand" comprenant "Police Python 357" en 76,"La menace" en 77 et "Le choix des armes" en 81,au milieu de laquelle il a réussi à caser son chef-d'oeuvre "Série noire" avec Dewaere en 79.Ce dernier volet de la trilogie a été injustement sous-estimé et se révèle être un fantastique exercice cinématographique évoluant aux confins du polar noir,de la tragédie antique et du brûlot social.On y retrouve la qualité du ciné français d'alors,blindé à tous les niveaux de fabrication.Corneau a coécrit le film avec Michel Grisolia,écrivain et scénariste très réputé,la production est signée Alain Sarde tandis que la photo grisâtre de Pierre-William Glenn met immédiatement dans l'ambiance dépressive de l'oeuvre,tout comme la musique angoissante de Philippe Sarde et les décors déglinguos du grand Jean-Pierre Kohut-Svelko qui nous balade des campagnes boueuses des Yvelines et de l'Oise à la banlieue hyper crade et déprimante de La Courneuve.C'est un film qui parle du hasard,de la fatalité,des erreurs dramatiques et de la connerie humaine,et qui parle aussi du passé et de l'avenir.La griffe du passé imprègne l'intrigue et la psyché de personnages prisonniers de leurs fautes d'autrefois.On pense à ces vers d'Aragon,"est-ce ainsi que les hommes vivent,et leurs baisers au loin les suivent".Durieux a déserté le milieu criminel depuis longtemps mais il suffit de l'évasion d'un vieil ami pour que tout lui revienne en pleine gueule tel un boomerang et pour que ses anciens réflexes toxiques refassent surface.Quant à Mickey,il cherche sa rédemption en essayant de conquérir une petite fille,la sienne,fruit d'un furtif coup d'un soir survenu il y a des années et qu'il n'avait jusque-là jamais voulu connaître.Les protagonistes ne sont ici ni intelligents ni sympathiques,tous réagissent aux évènements de manière absurde tout en se croyant très malins,ce qui va les conduire inexorablement vers un désastre général.Noël croit pouvoir gérer une situation qui pourtant lui échappe totalement et ses manoeuvres auront des conséquences catastrophiques,sa belle épouse Nicole ne se montrant pas plus avisée.Il n'y avait rien à attendre de Mickey,abruti congénital,mais sa débilité va dépasser ce qu'on pouvait imaginer.A ce propos on dirait que Veber s'est largement inspiré du personnage pour son Quentin de Montargis,le triste héros de "Tais-toi!" dans lequel le même Gérard Depardieu en malfrat minable et crétin de compète s'ingéniait aussi à coller aux basques d'un gangster de haut vol pour lui pourrir la vie.Si le ton vire du tragique au comique d'un film à l'autre,la structure du script et la caractérisation des intervenants sont proches.Côté flics ce n'est pas mieux entre un commissaire au bord de la retraite complètement démotivé et un jeune inspecteur aux dents longues dont les initiatives mettront le feu aux poudres.Sans parler d'un malfaiteur stupide imaginant d'aller régler de vieux comptes périmés dont personne n'a plus rien à foutre,qui sera à l'origine de cette mortelle sarabande.Tous sont les jouets malencontreux d'un destin fatal qui d'une manière ou d'une autre détruira leurs vies,au sens propre ou figuré.On mesure également l'émergence d'une nouvelle société dans laquelle les codes sont bouleversés par les générations montantes.Les règles de la pègre d'antan disparaissent au profit d'une criminalité issue des banlieues chaudes et miséreuses produisant des voyous ultra-violents décervelés et sans limites,ce en quoi l'oeuvre est visionnaire,à qui s'opposent de nouveaux flics s'adaptant au contexte et employant des méthodes musclées dictées par une mentalité de cow-boys.La dimension sociale est impressionnante avec ces virées à travers des zones d'une infinie désolation entre immeubles décrépis et rues jonchées de détritus où errent des rebuts de l'humanité survivant à coups d'expédients et de combines foireuses tout en s'abrutissant d'alcool et de drogue.La limite du film réside dans une expression quelque peu excessive.Les gens se trompent trop systématiquement et le discours d'excuse gauchisant est trop appuyé pour convaincre,tout comme certaines scènes,notamment celles avec l'inspecteur Sarlat,sont vraiment too much.Et la fin est largement ratée avec ses développements exagérément illogiques et idiots.Le casting est tonitruant avec à sa tête le duo-duel Yves Montand-Gérard Depardieu,deux acteurs qui s'étaient déjà croisés en 73 dans "Vincent,François,Paul et les autres",dans lequel Ivo était déjà un bourgeois cossu et Gégé un boxeur,et qui se retrouveront en 86 pour "Jean de Florette",où ils seront encore ennemis.Montand fait valoir sa prestance et son autorité naturelle en gangster repenti dont le naturel va refaire surface.Il développe un curieux attachement de type paternel envers un Mickey qu'il a pourtant toutes les raisons de détester et son ramollissement bourgeois causera sa perte alors qu'il se laisse attendir dès lors qu'il découvre le passé du dingo en parcourant les rues dévastées de La Courneuve.Dipardiou lui donne libre cours à sa folie intrinsèque et campe avec une authenticité terrifiante un desperado ahuri aux tendances suicidaires inconscientes.Catherine Deneuve,de nouveau en couple avec Montand après "Le sauvage" en 75,a un rôle en retrait mais sa beauté et son solide métier lui permettent de surnager dans ce monde de brutes.Michel Galabru est savoureux en vieux flic matois et désabusé tandis qu'un tout jeunot Gérard Lanvin crève l'écran en inspecteur Harry de la ZUP.Autre jeune acteur qui fera du chemin,un certain Richard Anconina,extraordinairement émouvant en raté soumis et ami fidèle.Et on a en plus Jean-Claude Dauphin en traître toxico,Jean Rougerie en ex mafieux hypocrite,Christian Marquand en truand old school,Etienne Chicot,fabuleux en porte-flingue en manteau de fourrure,Roland Blanche en boxeur minable,Marc Chapiteau en inspecteur embarrassé et Maryline Even,mythique moche de service du ciné français d'alors en épouse revêche du pauvre Anconina.La petite Karine Lenoir est magnifique en gamine perdue au regard d'une épouvantable tristesse.Critique et note de film d'Alain Corneau publiée précédemment:"Crime d'amour"-7.Moyenne:7,5.