Marco est un jeune trentenaire parisien, un photographe de guerre fatigué de faire des reportages mortifères, et fatigué par des crises de panique qui l’habitent depuis tout jeune. Il s’exile en Dordogne avec son chat Adolf, dont le mauvais caractère lui a valu son surnom ; un surnom qui pourrait faire penser à une nature primesautière du protagoniste. Pourtant, Marco est taciturne et assez ombrageux, et il est difficile à cerner. Sa névrose est en léger décalage avec son entourage : parents classiques et vieillissants, mais aimants, frère complice dans une relation bon enfant, une facilité relative à nouer une relation amoureuse, un job qu’il aimait jusque là… L’idée est de montrer comment il comble ce décalage au travers d’un combat quotidien pour vaincre ses démons et se rapprocher d’une certaine forme de sérénité, mais un problème de mise en scène et de rythme fait que l’objectif du réalisateur n’est pas forcément atteint.
Le film est pourtant très fidèle à la bande dessinée dont il est l’adaptation (ou roman graphique, comme on a tendance à sous-catégoriser l’œuvre de Manu Larcenet et de quelques autres auteurs ces temps-ci), aussi bien dans les cadrages que dans les dialogues que l’on retrouve mot pour mot dans la série. Œuvre phare de Manu Larcenet, pour laquelle il a reçu un prix à Angoulême, la série Le combat ordinaire, évidemment moins elliptique que le film, fonctionne beaucoup mieux, la progression est plus naturelle dans le récit. Ici, le foisonnement des thèmes abordés, les mêmes que dans la série, éparpille le film, et rien n’arrive jamais vraiment à émouvoir. Sur une durée de 100 minutes, il sera question de la filiation, de la famille en général, de l’amour, de la psychanalyse, de la guerre d’Algérie, de la maladie, du Front National, du chômage, de tout ce qui fait la vie de Marco : des vignettes qui font d’une BD une BD, mais qui ne font pas un film pouvant attirer pleinement l’attention de son spectateur.
Le casting du Combat ordinaire est composé de très bons acteurs : Liliane Rovère et Olivier Perrier dans le rôle des parents de Marco, des visages fatigués par la vie, mais une verve qui reste intacte ; André Wilms dans celui du vieux voisin au passé mystérieux ; Maud Wyler en petite amie compréhensive, discrète mais disponible ; et Nicolas Duvauchelle lui-même, en écorché vif, qui s’illumine de temps en temps en présence des gens qu’il aime…Mais le choix d’avoir gardé les dialogues, que Laurent Tuel a trouvé « parfaits », des dialogues courts faits pour les cases d’une BD, donne l’impression qu’il manque quelque chose à leur jeu qui, du coup, sonne un peu faux. Ce qui est percutant à la lecture devient vaguement sentencieux à l’écran.
Filmé en numérique, caméra à l’épaule par le chef opérateur Thomas Bataille, Le combat ordinaire offre quelques plans larges intéressants de Lorient et de la Dordogne, et quelques belles et chaleureuses scènes d’intérieur avec Emily (lumineuse Maud Wyler), la vétérinaire qu’il rencontre grâce à Adolf son chat; mais dans l’ensemble, l’image est assez plate et monotone, en plus d’être inutilement saccadée. Laurent Tuel rajoute quelques effets de style (scènes en noir et blanc qui correspondent aux pages sépia de la série, effets de zoom,…) qui l’éloignent du réalisme du roman graphique de Larcenet, et du côté ordinaire du combat de Marco…
L’adaptation d’un roman graphique ou d’une BD traditionnelle est une entreprise hasardeuse, l’imaginaire du lecteur étant déjà borné par les illustrations du livre. Le choix qui reste au réalisateur est réduit : déconstruire au risque de décevoir les afficionados de l’œuvre originale, ou reproduire à l’identique, au risque d’obtenir un produit bâtard, plus tout à la fait la BD, et pas tout à fait un film. C’est ce qui arrive malheureusement dans le film de Laurent Tuel.
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