Le Comte n'est pas bon !
Il n'y a pas de bonne ou de mauvaise adaptation, il y en a des fidèles et d'autres qui s'éloignent plus ou moins du matériau d'origine. Et la qualité d'un film, issu d'une adaptation...
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le 1 juil. 2024
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Après une insoutenable et trop longue attente, un suspense grimpant une courbe exponentielle dans une ambiance irrespirable à force de conjectures, la traque haletante des indices les plus minimes sur une bande-annonce vue et mille fois revue, ça y est, il est enfin sur nos écrans, le Comte de Monte-Cristo dans sa dernière et toute chaude version, Pierre Niney crevant l’affiche.
Alors, moi puriste du roman que j’ai appris par cœur depuis mon adolescence, moi qui ai juré un amour éternel au Comte de tous mes fantasmes, moi une irréductible habituée des suites, des remakes, des reprises, des pastiches et autres préquels, vous voulez savoir ce que je pense du scénario, de la mise en scène, du jeu artistique et du reste ?
(attention, je spoile !)
Pas beaucoup de bien. C’est un euphémisme.
Parce que comme je l’ai dit, je suis une puriste. Me persuadant, dès l’annonce de la mise en chantier du film, que trois heures ne suffiraient jamais à respecter l’esprit de l’auteur, la puissance de l’intrigue (des intrigues !) et la complexité des personnages, je partais avec un a priori négatif. Certes, convaincues par les versions précédentes que tout le talent d’un réalisateur ne peut rendre justice à une œuvre aussi inégalable, je condescendais à un peu d’indulgence. Je pouvais admettre que l’on supprime quelques personnages superflus (bien qu’aucun ne soit vraiment superflu), que l’on simplifie les impitoyables mécanismes ourdis par le héros pour accomplir sa vengeance sans merci, que l’on passe rapidement sur quelques encombrantes histoires parallèles. Je reconnaissais qu’une légère accélération des évènements correspondrait mieux à la brièveté du temps imparti et à l’impatience du spectateur moyen. Et qu’un petit coup de jeune sur certaines des personnalités croisées renforcerait l’intérêt du public pour leurs bonnes fortunes ou leurs déboires et actualiserait leurs profils.
Mais à force de voir supprimer, simplifier, couper, j’ai senti monter un mélange de déception, de désintérêt… et de colère.
Trop de personnages supprimés. Certes, je me doute bien qu’avec un film à si maigre budget on n’a eu pas les moyens de payer quelques acteurs de plus, mais je suis sûre que des artistes amateurs auraient accepté de jouer rien que pour la gloire. Car finalement, qui reste-t-il de l’œuvre initiale ? Notre Edmond, bien sûr, qui devient Monte-Cristo tout en se grimant en Busoni et Wilmore devenu Halifax on ignore pourquoi, son père qui au passage rajeunit et se réoriente professionnellement, Mercedes qui du statut de jeune fille pauvre passe à celui de riche héritière, idem pour Fernand, noble et nanti dès le début du film, Villefort dont la jeune maîtresse change de prénom au passage (Victoria, ça fait plus chic !), le troisième méchant, à savoir Danglars, qui ne sera plus banquier véreux mais trafiquant d’esclaves donc encore plus véreux, le brave abbé Faria, le candide Albert de Morcerf et la belle Haydée qui semble avoir un peu plus de présence que celle du roman (vêtue non pas à la grecque mais à la mode de l’époque qui lui va assez bien, mais ne colle pas avec son accent). Lesquels Albert et Haydée d’ailleurs s’enfuient ensemble avec la bénédiction attendrie de Monte-Cristo… Jacopo est bien là même si on ne le voit que par instants très fugaces, dans l’ombre, non pas en brave marin un peu naïf, mais comme une sorte de Dracula au visage glabre et aussi sinistre que les cellules du château d’If.
Où, mais où sont passés monsieur Morrel qu’on aperçoit 5 secondes, son fils (devenu petit-fils) Maximilien (5 secondes aussi, alors n’est qu’un tout petit garçon), sa fille Julie ? La méchante sorcière de l’histoire, en l’occurrence l’empoisonneuse Héloïse de Villefort (on l’entrevoit 5 secondes également, elle n’empoisonne personne et elle a l’air plutôt gentille), la douce Valentine, le séduisant Lucien Debray, l’imprévisible Franz d’Epinay ? Ce sale gosse d’Edouard, où est-il ? Le major Cavalcanti, absent. Monsieur Bertuccio, absent, et Ali idem. Evidemment je ne parle pas de Luigi Vampa ou du bon docteur d’Avrigny, j’occulte le brave Barrois, monsieur et madame de Saint-Méran…
Et surtout, l’un des personnages-clés du roman disparait, l’inflexible Noirtier que même la maladie impitoyable qui le frappe ne parvient pas à terrasser.
Eugénie Danglars existe, mais en bécasse nunuche incapable de s’opposer à son père, ou alors elle cache vraiment son jeu. Caderousse apparaît aussi, toutefois en célibataire (rendez-nous la revêche Carconte !) et à part révéler à notre Edmond les manigances des trois méchants (oui, c’est lui, et non pas l’abbé Faria qui lâche le morceau), on ne comprend pas bien son rôle, insignifiant d’ailleurs, dans la suite de l’histoire.
Et Benedetto, alias Andrea Cavalcanti, un indécrottable méchant, sauvé des eaux par Monte-Cristo qui l’utilise pour ses plus sombres desseins ? Non seulement il est toujours là, ce dont on ne peut que se réjouir, car il joue un rôle central, mais il devient gentil. Là, on se réjouit moins, car Andrea gentil, non ça ne colle pas avec le reste.
J’oubliais : non contents de supprimer des foules de personnages, les scénaristes en inventent ! Si, si ! Villefort devenu orphelin de père récupère une sœur au passage, la belle Angèle qui d’agente bonapartiste finit en prostituée déchue dans un bordel de Toulon ou je ne sais plus où.
Au final, si on compte, le film tourne avec mesquinerie avec un nombre assez limité de personnages et c’est regrettable…
Idem pour les décors : pourquoi tout changer ? De l’emplacement du trésor à la maison du vieux Louis Dantès, on ne s’y retrouve pas. Monte-Cristo habite sur les Champs, et non cette espèce de manoir champêtre avec un escalier bien pratique pour rendre plus spectaculaires les duels – c’est son seul intérêt (on se demande d’ailleurs, vu son éloignement de paris, comment les personnages du film y arrivent aussi vite). Rappel du maigre budget du film, d’ailleurs, les décors qui se veulent d’époque ne changent pas beaucoup… C’est sans doute aussi pour des raisons bassement financières que l’on coupe les scènes qui se déroulent dans la grotte de Simbad le marin (encore un personnage qui disparait, d’ailleurs…), à Rome ou au Pont du Gard.
Et non, messieurs les réalisateurs, dans le roman il n’y a pas de cavalcade interminable, de chasse à courre, de grosses bagarres sanglantes, de jeune fille qui se noie et de beau jeune homme qui plonge pour la sauver. Tout ça c’est de l’esbrouffe pour qui confond Dumas et un blockbuster plein d’effets spéciaux. La seule scène du même genre, c’est celle où Ali arrête les chevaux de madame de Villefort, scène bien sûr supprimée du scénario comme tant d’autres…
Je suis frustrée. Par exemple ce moment grandiose entre tous où en pleine Assemblée Haydée vient dénoncer les méfaits de Morcerf : on aurait quand même pu réquisitionner le Palais-Bourbon pour un tel retournement de situation… Eh bien non, on coupe, on supprime ce qui est l’une des meilleures scènes du livre. Danglars affamé dépérissant dans les souterrains de Rome : non plus, le méchant est juste ruiné. Eugénie qui s’enfuit avec sa belle maîtresse (dans tous les sens du terme) de chant : rien. Pas de beau Lucien qui plaque madame Danglars éplorée, pas de Franz qui découvre, horrifié, la vérité sur la mort de son père. Et aucun de ces tendres moments entre Valentine et son grand-père, ou Valentine et Maximilien. Quant à LA scène qui vient semer le doute dans l’esprit de Monte-Cristo, la vision tragique d’un enfant mort, non seulement elle n’existe pas dans le film, mais ne me faites pas croire que le geste inconsidéré d’Andrea et le tir qui s’ensuit a pour objet de la remplacer.
Et puis zut enfin, Dumas a voulu que Haydée choisisse Monte-Cristo, et pas Albert !
Bon, oublions tous ces partis pris, et cherchons quand même à savoir si, pour une spectatrice qui ne serait pas aussi puriste que moi, Le Comte de Monte-Cristo, soixante-douzième version, avec Pierre Niney dans le rôle-titre, est un bon film. Il n’y a pas que d’intransigeants lecteurs de Dumas dans le public, et c’est une bonne chose. Autrement dit, que peut en penser celle ou celui qui n’a pas lu le livre et, à travers le film, découvre le héros, l’intrigue, les ressorts de la vengeance, les bons et les méchants ?
J’ai essayé de me repasser le film sous cet éclairage. Rien à faire, ça ne prend pas.
Parce qu’il y a plein d’invraisemblances et qu’à de trop nombreux moments on reste sur sa faim.
Le rôle d’Angèle la presque noyée n’est pas assez précisé. Or c’est le point de départ du complot. Lequel complot reste confus pour les béotiens. Les méchants (ceux qui le sont déjà et ceux qui le deviennent) et leurs liens tortueux surviennent comme des cheveux dans la gamelle. Bon, oublions, et retrouvons Edmond dans les geôles du château d’If. Laissons passer quelques années jusqu’à ce qu’il fasse la connaissance de Faria. Mais pourquoi le filmer en train de faire sa gym plutôt que de laisser la parole à l’abbé quand celui-ci lui enseigne tout ce qu’il sait ? C’est pourtant grandiose, de voir le marin inculte se transformer en un puits d’érudition. Quant au trésor, de l’histoire plausible racontée par Faria, cela devient grotesque d’en faire le trésor des Templiers.
L’évasion, maintenant. Il faudra m’expliquer comment notre Edmond réussit à gagner la côte à la nage alors qu’il vient de passer 14 ans en prison et qu’il n’est pas au mieux de sa forme malgré les séances de sport (cf ci-dessus). Cela fait tout de même quelques kilomètres dans une mer hostile, or il semble les franchir avec la résistance d’un Michael Phelps. Notons qu’il a coupé sa barbe et ses cheveux au passage, mais ce n’est qu’un détail. En tous cas, j’ai bien ri lors de sa rencontre avec la lingère du château, une brave femme que rien n’étonne. Et heureusement qu’il y a là un bateau qui attend justement Edmond, sinon on ne sait pas comment il gagnerait l’île de Monte-Cristo qui, rappelons-le, est quand même assez loin de Marseille.
Et le trésor ? J’aurais bien aimé le voir, ce trésor grâce auquel Edmond va enfin se venger. On n’entrevoit qu’un rayon lumineux qui éclaire un quart de seconde une salle où s’entasse tout l’or de Golconde – enfin, on suppose puisqu’on ne voit rien.
Bon, il a récupéré le trésor, il va corrompre le brave Caderousse dont je n’ai toujours pas compris, je me répète, à quoi il sert. Il précise bien que sa justice étayée par ce trésor va lui permettre de récompenser les gentils et punir les méchants – comme dans le livre, sinon que dans le film il n’a aucun gentil à récompenser puisque les scénaristes les ont supprimés. Les années passent, cinq années en fait, nettement moins que dans le livre et mon avis est que cinq années ne peuvent suffire à préparer une vengeance d’une telle ampleur (mais il aurait fallu passer encore plus de temps sur le maquillage de Pierre Niney pour le vieillir encore plus). Quoique la vengeance du film est quand même beaucoup moins élaborée que celle du livre. Dans le livre, il en faut nettement plus pour ruiner Danglars, la chute de Morcerf est savamment distillée, et des malheurs sans nom s’abattent sur Villefort avant la révélation finale en plein procès non pas d’Halifax, mais d’Andrea. Dans le livre, des personnages secondaires prennent d’ailleurs sans le savoir leur part de cette vengeance, le journaliste Beauchamp, madame de Villefort, et même Eugénie.
Bref tout cela me parait plutôt simpliste et lapidaire.
Pour conclure, il semble que les ventes du Comte (le roman) grimpent en flèche. Une bonne chose, et je ne peux donc que saluer l’effet positif du film pour donner envie de lire ce chef-d’œuvre.
Créée
le 11 juil. 2024
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