Le Comte de Monte-Cristo par Stephane-Michel-Montreal

Cette nouvelle adaptation du foisonnant roman de Dumas faisait d’emblée face à de multiples défis. La nécessité de trouver une approche suffisamment originale, affirmant convenablement sa propre personnalité pour susciter l’envie s’impose, particulièrement chez le spectateur qui, sans avoir lu le roman ni vu ses précédentes versions cinématographiques ou télévisuelles aurait la vague impression d’en connaître déjà l’histoire. Edmond Dantès a dans l’inconscient culturel collectif dépassé les limites du classique littéraire. L’injustice, la trahison, l’enfermement, la vengeance longuement nourrie et son exécution par la voie des masques émanent de la simple évocation du nom du héros de Dumas. Dantès, auprès des Valjean, Lantier, Esmaralda, D’Artagnan, Sorel, de Bergerac ou autre Bovary, source le coeur de la culture française et circule dans ses veines littéraires. Sans nécessairement moderniser, il faut approcher avec prudence, respect, audace et confiance une telle figure possédant à la fois un visage flou mais une silhouette familière.

Il est donc essentiel d’accompagner sa démarche par le choix d’un acteur qui puisse habiter cette silhouette. Dantès est complexe, multiple (le roman parcours plus de vingt ans de sa tumultueuse vie), romanesque, dans toute la puissance du terme, passe de la fragilité de l’innocence à la force de la détermination et de l’absolutisme de ses choix à la nuance des conséquences de ceux-ci. En cela, Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte ont trouvé en Pierre Niney une force d’incarnation impeccablement solide sur lequel leur récit peut s’ancrer.

Certes, et d’autres relectures de Dumas ont rencontré la même problématique, les longues années d’emprisonnement, de résurrection enrichie et de lente maturation de vengeance, ne paraissent pas avoir suffisamment buriné le visage de l’acteur à la juvénile mi-trentaine. Aspect que l’on peut reprocher également aux trop discrètes évolutions physiques d’Anaïs Dumoustier (Mercedes), Laurent Laffite (Villefort) ou Bastien Bouillon (de Morcerf). Seule peut-être la capillarité grisonnante bienvenue de Patrick Mille, excellent dans le rôle du perfide Danglars, illustre adéquatement le passage du temps. Mais, en sus du poids des années ayant affuté sa quête de revanche, c’est, au-delà des travestissements, par son regard et par ses mots que le caractère de Dantès s’exprime. Et si la carrure de Niney a beau sembler frêle, ses épaules portent à merveille l’immense poids d’un tel personnage. Ce mélange de grâce et de force est l’un des atouts majeurs du film. L’ensemble de la distribution peut d’ailleurs être globalement saluée. Le duo de réalisateurs use d’une direction d’acteurs efficace créant une belle alchimie d’ensemble (on pourra regretter l’accent appuyé d’Anamaria Vartolomei - mais la délicatesse de son interprétation de Haydée y pallie - ou un Laurent Laffitte sans doute un peu trop en retenue comparativement aux deux autres adversaires de Dantès - Mille pour Danglars et le très juste Bastien Bouillon pour de Morcerf).

Egalement au scénario (comme ils le furent pour les Mousquetaires de Bourboulon), Delaporte et de La Patellière ont pris des libertés avec le récit original dignes des libertés que Dumas prenait avec l’Histoire mais, dans un film de près de trois heures, condenser les intrigues, amalgamer certains personnages secondaires et courber les destins, sont des choix inévitables. Il aurait en effet été difficile de transposer à l’écran les détails de l’équipée contrebandière des marins de la Jeune Amélie, le soutien filial du Comte pour l’armateur Morrel, ou les briganderies de Luigi Vampa. Le contexte politique est également, hormis pour les raisons de l’arrestation de Dantès, limité à quelques encarts - les scénaristes ne s’embarrassent pas, par exemple, de l’impact des Cent Jours sur les protagonistes - afin de se concentrer sur la mécanique vengeresse du jeune capitaine. Les ellipses et transitions sont parfois un peu hasardeuses. Le film aurait gagné à voir son déroulement temporiser davantage l’action, à laisser les plans bénéficier de leurs superbes décors naturels. Ponctué de plans zénithaux, de mouvements aériens menant le spectateur d’une vue lointaine de bâtiments fastueux à leurs seuils et intérieurs démesurés, le long-métrage écrit ses scènes par une caméra-volatile que l’on aurait aimé voir un peu plus se poser. Les scènes au Château d’If auraient également bénéficié d’une illustration plus pondérée de l’abandon, de la solitude, de l’épuisement des jours sans but, et, suite à la rencontre avec l’abbé Farias, de la lenteur des efforts et des apprentissages. Pourtant, de la Patellière et Delaporte prouvent à quelques reprises qu’ils sont capables d’atténuer les enchaînements trépidants. Notamment lors d’une jolie scène où Dantès retrouve Mercedes, qui voit déjà dans les yeux du Comte plus qu’il n’ose révéler. Dénuée de musique (du moins jusqu’à ses derniers instants), alors que les conversations mondaines font figure d’un bruit de fond que n’atteint plus les deux anciens amants, la scène mêle habilement désir d’amour retenu, difficulté à ne faire tomber les masques - qu’on les porte ou non - et réminiscence de complicité. En évoluant lentement dans un couloir bordé de végétation majestueuse, la mise-en-scène renvoie les personnages vers un environnement naturel, les éloignent du superflu, les ré-engagent aux abords de la passion originelle. On regrette donc d’autant plus une certaine précipitation, parfois, à passer à la séquence suivante (plans de coupe assez abrupts suite aux scènes de navigation). Précipitation particulièrement probante lors de la découverte par Dantès du trésor de l’abbé Faria. Etrangement, de ce trésor, pourtant indéniablement essentiel à la mise en place des plans de Dantès, nous ne verrons que quelques lueurs reflétées par une torche lancée dans un gouffre rocailleux. La majesté d’une telle richesse nous échappe alors quelque peu. De même, l’acquisition par Edmond de la lettre accusatrice de Danglars reste nébuleuse.

Les réalisateurs ont manifestement une velléité d’iconisation permanente de Dantès, tant au naturel que sous les apparats du Comte, de l’abbé, ou du magnat Halifax (le créancier Wilmore du roman se substitue ici avec une pointe d’ironie moderne à un directeur d’une presse prompte aux fausses nouvelles). Le personnage est introduit dans un contexte de résistance aux éléments. Se libérant des flammes d’une cargaison en feu, plongeant dans les profondeurs de la mer pour sauver la jeune messagère Angèle, la bonté et la vaillance du héros préfigurent sa renaissance.

Cette iconisation se reflète dans les costumes où les tenues classiques et élaborées de la haute société parisienne tranchent avec le cuir luisant du comte. La figure de la vengeance veut ici s’incarner avec style, soutenu par de nombreux ralentis suivant les pas de Monte-Cristo, notamment dans la scène de fausse embuche d’Albert.

Il y a de la substitution divine dans la démarche du comte. De la Patellière et Delaporte soulignent parfois lourdement un tel aspect (les perspectives célestes) mais parviennent souvent à habilement l’illustrer, tant dans la mise en scène (défiance de Dantès jurant devant Dieu de désormais prendre en charge récompense et punition) que dans l’exercice d’adaptation (le trésor issu de spéculations papales dans le roman est ici remplacé par le secret des richesses accumulées par les Templiers, donc puisé dans la défense de la foi). Outre l’ouverture sur le sauvetage en mer, Dantès est filmé dans une récurrente position de résurrection: La noirceur du cachot faiblement percé de lumière d’abord, puis le futur Comte, après avoir été jeté en mer, sortant de sa chrysalide de toile pour rejoindre de nouveau la surface ensuite; le caveau des Spada découvert au sortir d’une lente descente sur les marches sculptées d’un versant de l’ile de Monte-Cristo menant à l’or qui le fera resurgir au plus hautes marches sociales; le mystère entretenu par une caméra suivant les pas du Compte encapuchonné contrastant avec les contre-plongées éloquentes sur un Monte-Christo drapé de cuir.

Mais les ambitions d’une vengeance vue comme justice par Monte-Cristo se heurtent aux excès d’égo lorsque les sacrifices (Andréa et potentiellement Albert) mènent à des conséquences qui pourraient s’avérer aussi graves que ce qui a conduit le jeune Edmond au Château d’If. Les réalisateurs et scénaristes, en déviant les destins de certains personnages clés (Albert, Haydée, Fernand de Morcerf) de leurs routes tracées par le roman de Dumas, transcrivent cette épiphanie pour mieux conférer au Comte une ultime confirmation d’humanité (dernier plan sur un Dantès redevenu homme après avoir mis de côté ses prétentions de justice divine).

Quelques maladresses (nous nous serions passé des pompes que Dantès exécute dans sa geôle avant de se mettre à creuser) ne peuvent ainsi gâcher la compréhension des deux réalisateurs quant à la nature intrinsèquement feuilletonesque du livre de Dumas).

Le bémol majeur du long-métrage a trait à son illustration musicale. Non que la partition de Jérôme Rebotier soit mauvaise (j’en réfère à l’excellent épisode de SerieFonia de Vivien Lejeune sur les musiques du Comte de Monte-Cristo à travers ses diverses adaptations) mais son omniprésence tend à alourdir les émotions plutôt qu’à les souligner. Tout sonne suspense, tout est tension, et lorsque l’on souhaiterais voir le récit se poser, les envolées musicales agitent avec une redondance agaçante la permanence des conflits. Qu’une musique suffisamment engageante pour le spectateur supporte les coups portés par le Comte aux hommes qui l’ont trahi est compréhensible mais à trop user de notes trépidantes, on frôle l’usure de l’appréciation.

N’en demeure que le Comte de Monte-Cristo vu par Alexandre de la Patellière et Matthieu Delaporte se suit avec plaisir, est filmé avec soin (délicats jeux d’ombres et lumières) et offre à Niney et ses partenaires de jeu de belles occasions de briller. On ne sait encore, après les Mousquetaires et Monte-Cristo, si d’autres productions françaises s’apprêtent visiter de nouveau l’oeuvre Dumassienne mais de la trilogie des guerres de religion aux romans de la Régence, il y a certainement de quoi faire. Attendons, et espérons.

Créée

le 22 juil. 2024

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