Auteur de SF polonais, Stephane Lem a projeté des sociétés utopiques, anticipé les conséquences de la technologie et commenté de façon critique le sort et les comportements des humains. Son roman Solaris a été adapté deux fois sur grand écran. Ariel Folman, réalisateur de Valse avec Bachir, s'est ici inspiré d'un autre moins connu, Le Congrès de futurologie (1971), sur un monde gouverné par la psycho-chimie.
Le Congrès raconte l'entrée dans une nouvelle ère et la conversion ambiguë des individus et du cinéma aux règles du jeu. Robin Wright y joue son propre rôle, celui d'une actrice hors-circuit à qui la Miramount propose d'être scannée. Le scanning consiste à copier les traits d'une personne pour les décliner au cinéma, sans avoir recours aux protagonistes de chair et d'os. Son image est ainsi déclinée librement, utilisable à l'infini, selon tous les contextes voulus. Vingt ans passent et elle se trouve invitée d'honneur à un congrès de la Miramount Nagasaki. Devenue un conglomérat supranational, la Miramount présente son nouveau produit, une drogue plongeant les masses dans une hallucination collective où chacun incarne la figure qui lui plaît. La seconde partie du film se déroule donc sous forme animée et devient une virée psychédélique, ouvrant à une sorte d'extase tranquille tout en laissant un goût amer.
Les messages du film apparaissent embrouillés, comme le rapport à cette dé-réalisation ; elle attire et rebute Folman et ses collaborateurs. La confusion ressentie est la conséquence de ce regard multiple, qui se contredit sans pouvoir lâcher ses différentes aspirations, du moins pendant un temps, celui où les choix ne sont pas pleinement consommés.
Robin Wright traverse le rêve, nuancé par ses côtés kitschs (séquence Forever Young un peu désuète) et surtout par une mise en doute, une perception finalement aigre-douce de cette sur-réalité. Le Congrès ressemble à une grande fable progressiste vécue sous la contrainte, avec délectation et scepticisme à la fois. C'est le vide bien plus que la peur qui est ressenti, alors qu'on peut s'y plonger allègrement, dans ce vide convenant à merveille à ces individus qui, pour beaucoup, se parent des traits de héros de la pop culture, de l'Histoire ou des arts, ou s'inventent carrément.
Dans Le Congrès, la révolution en marche est le tremplin vers l'extase et le gouffre, sans que la mort, la haine, les passions sociétales n'y rôdent. Le film montre un monde où existe un ''autre côté'' et cette perspective change toute l'expérience, en même temps qu'elle piège. Le paradis privilégié s'avère en fait un chemin vers la transe ; les apprentis sorciers n'aboutissent pas et leurs délires n'existent pas, sauf dans les rêves fabriqués. Et l’héroïne est en fait demeurée dans le monde commun, paupérisé. Plongé dans l'inertie, celui-ci se maintient par l'illusion. Il y trouve le salut lui permettant de ne pas voir sa disgrâce vécue, concrète.
Les gens vivent d'un côté ou l'autre de la réalité. (L'extase dans) la virtualité ; la réalité (abandonnée). Halluciner et rêver ; ou attendre la mort dans la sobriété. Ou le désarroi, la perplexité, l'angoisse, peu importe. Le Congrès affiche toute la douleur de vivre ; alors qu'exister est impossible à long-terme. Avec l'arrivée des réalités auto-engendrées où chacun peut s'épanouir, nous commettons ainsi une fuite en avant salvatrice et en même temps, infligeant une nouvelle blessure narcissique à notre race, mettant en exergue la vacuité de son passage et l'absence de maîtrise qu'elle a sur elle-même.
Contrairement à Jodorowsky qui prononce et assimile le divorce avec la réalité, tout en célébrant certains au-delà réclamant initiation (La Montagne Sacrée), Le Congrès est une révélation désabusée. Elle ramène à la vie en balayant l'ensemble, non en la transgressant strictement et tolérant l'emprise du déni. Le film est pourtant romantique au plus haut point, cependant la séduction exercée et l'enchantement recherché n'entament pas la conscience de demeurer hommes, donc complexes et limités. Et Ariel Folman ose traduire cette conscience en sensation.
Le Congrès est un essai très clair sur le vertige de la condition humaine. Il avance la métaphysique la plus triviale et essentielle, qui nous revient par-dessus tout, quelque soit le contexte de notre épanouissement. Nous sommes des êtres avec une fin, perdus le long d'un cheminement où notre seule vocation reste de composer avec la vérité simple de la vie.
https://zogarok.wordpress.com/2015/02/25/le-congres/