Pas un aigle de la route – il prendra son envol l’année suivante –, mais un canard ! Convoy surprend par son articulation de plusieurs genres, au carrefour de l’action brutale, du burlesque à la limite de la parodie et du western, avec son attention portée aux paysages et sa bataille dans un saloon reconverti en diner routier. Cette synthèse est d’autant plus paradoxale qu’elle s’applique à une trajectoire a priori linéaire, qui suit une route dessinée sur laquelle les convoyeurs « avancent », comme l’indique Duck ; la marginalisation progressive des camionneurs passe ainsi par le choix d’un itinéraire secondaire, des petites routes dangereuses et saturées de poussière et de sable, donnant lieu à une superbe séquence de ballet automobile dont s’est souvenu George Miller pour son Fury Road (2015).
Sam Peckinpah n’a pas son pareil pour donner de l’envergure à cette course-poursuite quasi abstraite, engagée dans des espaces désertiques à la manière d’un Steven Spielberg dans Duel (1971) : sa réalisation cisèle des plans parfaitement composés et cadrés, servie par un montage fluide qui restitue la puissance des moteurs et le fracas des chocs. Les cascades sont d’ailleurs saisissantes. L’intelligence du long métrage réside également dans son refus de signifier autre chose que ce qu’il donne à voir, autrement dit la négation de la fable politique au profit d’un mouvement anarchiste axé sur la solidarité entre pairs et le respect mutuel. Un grand film plutôt méconnu, qui inspira notamment la clausule tragique de Thelma & Louise (Ridley Scott, 1991).