Le destin du "Convoi de la Peur" est singulier : il fut injustement descendu en flammes par la critique quasi unanime à sa sortie sur les écrans en 1977, alors qu'il s'agissait d'un film, certes ambitieux de par les moyens mis en oeuvre pour son tournage - en Israël, à Paris, à New-York et dans la jungle du sud du Mexique, censé figurer la Colombie - ainsi que par son pessimisme profond, typique d'une époque de désillusion des intellectuels américains vis à vis de leur pays embourbé au Vietnam, mais fondamentalement typique du cinéma de William Friedkin... Sombre, pessimiste, filmé au cordeau avec peu de dialogues et des scènes d'action extrêmement concentrées et efficaces, "le Convoi de la Peur" était la digne continuation d'un "French Connection" et d'un "Exorciste" qui avaient été des succès mondiaux. L'échec financier qui s'en suivit marqua la fin de la carrière "populaire" de Friedkin qui se marginalisa, même s'il continua à réaliser pas mal de bons, voire de grands films dans sa longue carrière. Et "le Convoi de la Peur" fut oublié... jusqu'à sa redécouverte il y a quelques années, et sa réévaluation... qui amena à une situation inverse : à force de clamer qu'il était un chef d'oeuvre absolu, méconnu de l'histoire du Cinéma - ce qu'il n'était pas non plus - les critiques n'aboutirent qu'à créer une nouvelle déception chez les jeunes cinéphiles qui le découvrirent alors.


Partant du principe d'un remake fidèle du célèbre film de H.G. Clouzot, le "Salaire de la Peur", Friedkin joue le jeu d'une construction similaire, avec une très longue introduction servant de présentation des personnages, déroutante car déséquilibrant un film qui ne dure au final que deux heures. L'idée est de plonger le spectateur dès le début dans un univers sordide de trahison, de malhonnêteté et de lâcheté, que l'enfer colombien matérialisera en un chaos humide, boueux et... mortel. Le problème est que, faisant cela, Fridekin bride toute identification aux personnages en les privant d'office de toute humanité... ce qui fait que leur sort nous importe peu, et que les scènes qui les mettent en danger nous laissent relativement indifférents. Il n'est pas dit d'ailleurs que cette quasi absence de premier degré ne soit pas volontaire de la part de Friedkin qui livre une dissertation théorique sur l'abjection humaine plutôt qu'un film d'action et de suspense.


Ce qui est par contre extraordinairement réussi dans "le Convoi de la Peur", c'est la fameuse scène du pont suspendu, présente sur toutes les affiches du film dans le monde entier : pendant un quart d'heure, il s'envole vers le sublime, alors que ses personnages et leurs camions - dont le fameux "Sorcerer" aux dents carnassières donnant son titre original au film - n'en finissent pas de s'engloutir dans un enfer liquide et mortel. Si l'on y ajoute les très beaux plans finaux de l'arrivée au but, filmés dans un désert lunaire du Nouveau-Mexique, il y a là des moments presque surnaturels qui justifient pleinement la vision du film.


Même inégal, même bancal, même loin du chef d'oeuvre que certains ont voulu voir - l'interprétation est assez peu convaincante en général, et le très respectable Roy Scheider y est même assez mauvais - "le Convoi de la Peur" est un témoignage passionnant sur la vision d'un grand cinéaste, qui fut rejeté par le système et n'accomplit pas son destin à lui. A l'image de ses héros broyés par le Mal.


[Critique écrite en 2020, à partir de notes prises en 1977]
Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2020/06/14/cine-classique-sorcerer-william-friedkin-le-destin-dun-film-maudit/

EricDebarnot
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le 7 juin 2020

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Eric BBYoda

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