Ô déception, j'hurle ton nom !
Friedkin disait que le convoi de la peur était son meilleur film... Je suis obligé d'être en désaccord. Arte disait qu'ils passaient ce film le lendemain du Clouzot "pour comparer"... Ben comparons... Autant le Clouzot m'a glacé le sang à plusieurs reprises, tétanisé devant mon écran... Autant là...
En fait je ne comprends aucun des choix de Friedkin, mais genre aucun... Présenter en introduction les personnages et ce qu'ils ont fait avant... pour quoi faire ? Je veux dire que ça n'explique rien sur leur personnalité, psychologie, sur d'éventuelles relations entre eux... c'est triste... On voit ces trois types faire des choses qui les conduisent jusqu'à ce coin paumé de la terre. Ok et ? Parce que ça prend une plombe pour finalement ne rien dire et ça ne sera même pas réutilisé plus tard. D'autant qu'après le village sur place on y passe que peu de temps et tout s'enchaîne de façon moyennement logique... En fait c'est un film qui manque de lien entre les scènes, il doit y avoir beaucoup de déchets au montage, c'est pas possible autrement. Le film n'explique pas qu'il y a deux camions, à un moment un camion passe devant l'autre, on ne sait pas pourquoi... Mais après c'est pas le plus grave, on est mis devant le fait accompli, je l'accepte...
Cependant ce qui me pose problème c'est que finalement ce que met Friedkin en place ne fonctionne pas... Je me réjouissais d'avoir vu dans la bande annonce une image où on voyait le camion sur un pont... Et c'est un tel pétard mouillé.
En fait je reprocherai à ce film d'être tout simplement trop américain et j'ai l'impression de retrouver tous les griefs que l'on reproche aux remakes de films ricains habituellement. Chez Clouzot on a des personnages, des vrais, qui existent, qui ont une personnalité, tous... Là ils sont tous interchangeable et savoir que l'un est un banquier ou un terroriste, finalement ne change rien. Clouzot avait mis en place des relations d'amitiés, de confiance, rien de tout ça ici (alors on pouvait faire sans, je suis d'accord, mais disons que ça n'aide pas les personnages à s'épaissir). Et puis il y a cette scène où le patron explique qu'il fallait transporter de la nitroglycérine et là on voit le type se désister, dire que non, c'est pas pour lui, qu'il connaît ça, qu'il a vu des gens que la peur avait rendu fou... Et là on savait que ça allait être une descente aux enfers.
Ce n'est pas non plus chez le Friedkin, où la peur est absente (mais bon ce n'est pas présent non plus dans le titre en VO (que je n'ai pas compris d'ailleurs)), les personnages semblent faire ça comme ils vont chercher le pain à une exception faite.
J'ai su que je n'allais pas vibrer comme j'avais vibré pour le Clouzot lors du départ du camion, ça se fait comme ça, l'air de rien, une petite musique au synthé assez kitch, quelques plans où on voit qu'ils roulent vraiment au bord du précipice... ça fait un peu film d'horreur kitch. et surtout on passe très vite sur les obstacles, il ne prend pas le temps de les développer, de les filmer limite en temps réel comme chez Clouzot. Parce que franchement traverser un pont comme ça, ça aurait dû le point l'orgue du truc, mais non, c'est quasiment "rien". Une péripétie de plus... Alors que franchement niveau décor, ça explose le Clouzot, la non visibilité dans la jungle et puis pardon d'y revenir, mais cette rivière gigantesque et ce tout petit pont...
Mais il y a quelque chose qui ne passe pas. Idem dans le Clouzot il y a une inconnue (je ne veux pas spoiler) qui ici est levée... pourquoi ? on avait besoin de savoir ça ? Non, bien sûr que non... c'était ça qui rendait le Clouzot terrifiant, on ne sait pas... Tout peut se passer.
C'est ça le problème de ce film, c'est pour ça qu'il ne peut pas me toucher, il passe trop vite d'une situation à l'autre, développe et montre des choses dont on n'a pas besoin, voire même qui nuisent au récit et à sa fluidité.
Après ce n'est pas mauvais, mais voilà, j'enchaîne les deux films, le Clouzot m'a retourné et celui-ci pas... Il y a malgré tout une ambiance chez le Friedkin, notamment grâce aux décors, ces types avec leur chapeau, leur chemise, la chaleur, la jungle et le camion... ça me rappelle Jurassic Park... C'est la jungle de nos cauchemars...
Et ça c'est bien... Friedkin sait qu'il ne peut pas prendre Clouzot sur son propre terrain... En même temps... le salaire de la peur c'est une telle claque, te faire flipper sur le simple fait de prendre un virage en U... il fallait le faire ! Seulement comme je l'ai dit, les choix de Friedkin ce n'était pas forcément ce qu'il fallait faire pour être intense. Ceci dit je ne veux pas nier la performance technique de filmer cette scène sur le pont, mais il faut qu'elle me parle, que lorsque je la regarde je flippe, je suis inquiet... Ce que je ne suis pas du tout. Par contre, même s'il ne veut pas, et ne peut pas faire une décalque du Clouzot, il reprend malgré tout des scènes pour ne rien en faire... (l'arbre sur la route, le passage sur la plate-forme en porte-à-faux...) et quelque part dans mon souvenir, je sais qu'elles ne resteront pas, c'est le Clouzot qui va rester et je ne garderai du film de Friedkin que l'image que j'en avais déjà avant de le voir : la jungle et un pont...
Donc finalement je suis bien déçu, peut-être parce que j'ai adoré le Clouzot... peut-être... Mais je ne pense pas que voir le Clouzot m'empêche de ressentir la tension s'il y en avait une et ça me permet de voir, par contre, quels ont été les changements et lesquels fonctionnent le mieux.