Pour ainsi dire, peu de gunfights, coups de poing ou batailles dantesques belmondiennes ici. Dans « Le Corps de mon ennemi », tout se joue avec tact, classe, dextérité et amabilité. N’est-ce pas Monsieur Belmondo ?
Sur les huit, il s’agit de la septième collaboration Jean-Paul Belmondo/Henri Verneuil, la première étant le film à sketch « La française et l’amour » (également réalisé par Christian-Jaque, René Clair, Boisrond, Decoin et Delannoy), et la huitième et dernière : « Les morfalous ».
Dans les 60’s auront eu lieu « Un singe en hiver », « Cent mille dollars au soleil ».
Pour une fois, je ne vais pas vous raconter le sempiternel scénario/récit pour vous expliquer les enjeux du film, je vais directement passer à l’étape suivante. Pourquoi ? Parce qu’il s’agit d’un ‘Bébel’ inhabituel.
Dans « Le corps de mon ennemi », le suspense chaotique est mené par le réalisateur Henri Verneuil qui y croit dur comme du fer. Un suspense au cordeau pour un rythme qui ne faiblit pas.
Le scénario dense et complexe s’entiche d’histoires à tiroirs difficile à comprendre : un second visionnage est impératif pour discerner et rassembler toutes les sous-intrigues racontées par l’équipe des scénaristes (le réalisateur du policier « Mélodie en sous-sol », et Michel Audiard).
Le scénario néanmoins fouillé n’y va pas dans la dentelle : il tire à boulet rouge sur la société des 70’s en France, entre l’après mai 1968 et avant l’élection Mitterrand en 1981. Verneuil n’est pas Luis Buñuel mais il arrive à distiller son étude de mœurs en un réquisitoire contre les dérives de l’argent et du pouvoir. En cela, le scénariste Henri Verneuil est l’alter-ego de François Leclerc (Jean-Paul Belmondo) car les rouages du pouvoir sont ici le prétexte des histoires de prison, de justice et d’étude du comportement sur les notables d’une ville, d’un pays. Toute l’histoire de Leclerc sorti de prison après un procès retentissant.
Si « Le corps de mon ennemi » est une satire du pouvoir des 70’s, c’est pour mieux prodiguer une leçon de morale sur tous les élus de France et de Navarre. Et que tout un chacun est corruptible dans ses hautes sphères d’argent …et de trahison. Les médias ne sont ici pas en reste, également. Mais là n’est pas le propos direct du film, les médias jouent ici le jeu du fil conducteur de l’histoire, elle-même narrée par le personnage principal joué par Jean-Paul Belmondo.
Ici, Belmondo est impérial, d’une efficacité redoutable. Monstre de talent crevant l’écran à chaque apparition, il propose un jeu sobre et posé, tout en finesse. Son baroud, son effronterie est telle que son verbe est exquis. Au passage, merci Michel Audiard (également scénariste, et donc dialoguiste) de nous composer, avec toujours autant de talent, un sens du verbe inégalé qui prend toute sa splendeur ici. Les roses sont ici à Michel Audiard ce que Bébel est au cinéma. Je dois bien avouer que le tandem Belmondo/Audiard tient non seulement ici toutes ses promesses, mais il permet à l’ensemble des comédiens de se sublimer.
Un très bon Verneuil (du côté du scénario donc), un Belmondo qui livre une très belle composition et un Michel Audiard qui tire à boulet rouge sur les politicards grâce au phrasé unique de Bébel. Bravo à ce trio (Verneuil-Belmondo-Audiard) !
Le rival bebélien est Bernard Blier -« Le jour se lève », « Dédée d’Anvers », « La chatte » d’Henri Decoin, « Le monocle noir », « Série noire » …-, détestable à souhait. Reconnaissable grâce à son crâne rasé, il s’impose tout naturellement face à Bébel grâce à son charisme fauve et à sa présence magnétique à jouer les baroudeurs de la plus haute importance.
Tous mes chapeaux Monsieur Blier !
A leurs côtés, des seconds d’époque inoubliable :
- le maire incarné par Daniel Ivernel (théâtreux au côté de Gérard Philippe, il aura joué pour Vernay, Duvivier, Buñuel, Boisset…) ;
- le père de Bébel, René Lefèvre (acteur prolifique des années 1930 -« Le crime de Monsieur Lange », « Gueule d’amour »-, il se fera plus rare dans les 60’s -« Le doulos ») ;
- Mademoiselle, tout en douceur féline et en féminité, est une Marie-France Pisier (découverte par Truffaut !) qui irradie l’écran et qui retrouvera Bébel pour « L’as des as » ;
- le trans, attachant à souhait, joué par Claude Brosset (pote de Bébel à la vie comme à l’écran -« L’alpagueur », « Flic ou voyou »-, il a également joué pour Tavernier, Mocky, Hazanavicius) ;
- et, tout de suite reconnaissable, Charles Gérard dans un mini-rôle, celui d’un chauffeur de taxi !
Avec également Michel Beaune, Bernard-Pierre Donnadieu et Nicole Garcia (alors au tout début de sa carrière !)
En somme, une belle troupe d’acteurs dirigée par l’adaptateur des « Amants du Tage » de Kessel pour le cinéma.
Si la musique adoucit les mœurs, ce n’est pas Francis Lai qui va nous dire le contraire. Ses partitions accompagnent vraiment très bien les rebondissements dans lesquels Bébel est embrigadé. Comme quoi, lorsque Monsieur Lai s’extirpe du cinéma lelouchien, il arrive à s’imposer comme un compositeur sachant donner corps à l’histoire qui lui est conté.
La mise en scène classique dotée d’un montage fluide parachève cette production Cerito qui, au gré des flashbacks, s’épaissit et fait du « Corps de mon ennemi » un policier français qui possède une âme, celle de l’artisan contemporain Henri Verneuil.
L’Ambiance poisseuse, parfois rebutante car personnages complexes et scénario à tiroirs, l’évocation de la drogue, politicards véreux et ripoux… : le cinéaste du drame social « Des gens sans importance » n’épargne rien ni personne dans ce polar à la française doté de trognes d’époques.
Pour toutes ces raisons, dire que « Le Corps de mon ennemi » (1976) est un classique méconnu du polar à la française et un petit chef d’œuvre du film noir made in France, je pense que le réalisateur du dyptique « Mayrig »/« 588, rue Paradis » pourrait m’en remercier malgré une baisse d’attention de ma part à cause du traitement du récit.
Pour conclure, ce grand cru de 1976 est un très bon Bébel, tourné dans le 59, livrant une vendetta et une plaidoirie pour la liberté.
PS : paraît-il, « Le corps de mon ennemi » est un Chabrol, comme j’ai pu le lire à plusieurs reprises, il n’en est rien, c’est bien un film d’auteur contemporain signé par le façonneur du film d’action moderne, Henri Verneuil !
Spectateurs, Belmondo pour un jour, Bébel pour toujours !
Petit retour sur la carrière de Jean-Paul pour le cinéma.
En 1978, il est « Flic ou voyou » pour Lautner (film que j’ai re-regardé le jour de son décès sur C8).
En 1980 et toujours pour le même réalisateur, il est le « Guignolo ».
En 1981, il est « Le professionnel ». Revu pour mon hommage, c’est toujours un pur moment de bonheur ! Du cinéma comme on en fait plus. L’une des plus belles compositions de Bébel pour l’une des meilleures musiques de film françaises. Un shoot à l’extasy comme seul Morricone sait le préparer et le diriger. Sensationnel, magique ! La gueule fracassée d’Hossein, Vernier, la poursuite de Julienne… un orchestre symphonique en mode majeur.
En 1982, Belmondo devient « L’as des as » sous la coupe de Gérard Oury.
En 1983, Deray le fait « Marginal ». Egalement revisionné, il s’agit de mon Bébel préféré, fétiche. Le superflic Bébel viril, cogneur, ravageur qui déambule dans les rues malfamées marseillaises avec, en toile de fond, un Morricone pur jus et inspiré, c’est le top ! Avec le tout jeune Tchéky Karyo, bien avant « Nikita », « Bad boys », « The patriot », l’indétrônable poursuite de Rémy Julienne, les super-cascades bébéliennes sur la 2X2 voie, et surtout la galerie de seconds couteaux (Vernier, Brosset, Sotto-Mayor), il s’agit pour ma part d’un objet de culte indéfectiblement nostalgique. Tin-lin, tin-lin…
En 1987, « Le solitaire » acte la fin de règne du superflic Bébel.
En 1988, Claude Lelouch remet Jean-Paul sur pied grâce à « Itinéraire d’un enfant gâté » et obtient ainsi le seul César de sa carrière.
En 1995, le duo Lelouch/Bébel rempile pour l’épopée des « Misérables ».
En 1998, il tourne « Une chance sur deux » sous la houlette de Patrice Leconte (film terminant mon hommage). C’est une comédie (policière, d’action) comme on n’en fait plus mitonné par le père des « Bronzés ». Le trio Paradis/Belmondo/Delon nous emmène dans la pègre russe niçoise locale qui fait écho, à bien des égards, au « Borsalino » dans lequel nos deux bons vieux compères d’antan ont fait ami-ami. Ça n’est pas étonnant si la petite musique rappelle les souvenirs d’hier -ah… nostalgie !- ainsi que la bonne tranche de rigolade pendant deux heures (en compagnie de l’inoubliable Michel Aumont). A gangsters amis, gangsters ennemis !
En 2000, ‘Bébel’ joue pour Bertrand Blier, le fils de Bernard, dans « Les acteurs ».
En 2008, Francis Huster lui donne son dernier rôle dans « Un homme et son chien », film que j’ai vu lors de sa sortie au cinéma.
Il y a des Bébel que j’ai déjà archi-vus et dont je ne me lasserai jamais, ceux que je n’ai pas encore vu, quoi qu’il en soit, Belmondo est rentré un jour dans ma chaumière et dans mon âme d’amateur de cinéma, et il n’est pas prêt d’en repartir.
Belmondo pour un jour, Bébel pour toujours, ça c’est sûr et certain !
« S’il a eu une jeunesse agitée, je lui promets une vieillesse paisible... » (réplique du « Marginal »).