Dans la filmographie de Verneuil, ce film se situe après "Peur sur la ville" et avant "I comme Icare". Et côté Jean-Paul Belmondo, ce film se situe entre "l'alpagueur" (Labro) et "l'animal" (Zidi) / "Flic ou voyou" (Lautner). Juste pour dire que ce soit Verneuil ou Belmondo, "le corps de mon ennemi" est dans un registre un peu différent, un peu plus introspectif, un peu moins dans l'action.
Ce film est une histoire de vengeance. En quelques mots, François Leclercq (Jean-Paul Belmondo) revient, après 7 ans passés en prison à cause d'un double meurtre qu'il n'a pas commis, pour régler ses comptes. Mais c'est surtout une histoire de vengeance dans une ville imaginaire du Nord qui vit entièrement autour de son activité industrielle (le textile) menée par une famille toute puissante et omniprésente quel que soit le plan politique, économique, social ou même sportif.
L'intrigue est assez prévisible. On voit assez vite où Verneuil veut en venir.
Quand je dis que le film est introspectif, je souligne en fait le montage complètement construit en flash-backs permettant d'une part à François Leclercq de reconstituer le puzzle au fur et à mesure de ses déambulations et d'autre part au spectateur de découvrir et de comprendre les tenants et aboutissants.
La description de la haute bourgeoisie régnant sur la ville ? Elle se situe essentiellement sur ce qu'en dit François Leclercq à travers ses remarques affûtées (Encore un coup de maître de Michel Audiard) pour essayer de comprendre - uniquement - la machination dont il a été victime de façon à taper juste et fort.
Il n'est pas question de comprendre ou entrer dans le détail - peut-être sordide - peut-être corrompu - de la famille Beaumont-Liégard. On n'en sait rien. On est dans le domaine de l'hypothèse.
Et surtout ce n'est pas le sujet. En effet, Verneuil limite au strict minimum les incursions dans le détail domestique de la famille ou de l'entreprise car il est bien plus crédible de présenter cette famille au pouvoir étendu, avec un front lisse et inattaquable. D'ailleurs que voit-on ? Une famille qui vit très à l'aise dans un entrelac de relations utiles que ce soit avec la justice, la religion, la finance, la politique. Une fille (Marie-France Pisier) qui aime s'envoyer en l'air dans la discrétion et qui n'a pas bien apprécié d'être sacrifiée sur l'autel de la famille mais qui ferme sa gueule. Un patron (Bernard Blier) qui avoue sans se cacher que subventionner une équipe de foot lui rapporte la paix sociale. Un "gendre possible" ambitieux qui ne recule devant rien pour accéder à la vie facile et dorée... Pas de quoi hurler à la pourriture, à la corruption, ...
La seule scène "violente" est la réunion électorale qui tourne au chaos une fois qu'on révèle les relations du fils du candidat de l'opposition en pleine collusion avec les patrons. C'est violent mais complètement exact. Il n'en faudrait pas tant aujourd'hui pour dessouder un candidat. Et les moyens utilisés aujourd'hui par les médias notamment sont autrement plus violents.
Verneuil a pris bien soin de ne pas être si manichéen que ça car l'ascension irrésistible, fulgurante de Jean-Paul Belmondo est d'abord due à une petite partie de fesses qu'il a provoquée pour une question d'amour-propre datant de son enfance ... Doit-on parler de promotion canapé, au fait ?
Côté casting, Verneuil a mis les petits plats dans les grands.
Jean-Paul Belmondo dans le rôle d'un arriviste qui se brûle les ailes puis qui veut se venger de la machination dont il est victime. Ici point de cascades spectaculaires mais un Belmondo réfléchi, narquois, aigri et qui cherche le bon angle d'attaque. En prenant ses précautions pour ne pas se refaire piéger.
Marie-France Pisier dans le rôle de la fille de famille bonne à marier. Cette actrice a indéniablement une présence à l'écran qui ne tient pas seulement à son physique. Aidée de remarques sardoniques d'Audiard, elle est parfaite.
Bernard Blier dans le rôle du patron, maître après Dieu sur son univers textile, est excellent. L'homme qui ne doute de rien.
A son actif, il a quand même appuyé l'ascension de Jean-Paul Belmondo jusqu'au rang de "gendre possible" ce qui est une preuve de son ouverture d'esprit car dans bien des familles de haute-bourgeoisie, c'eût été carrément impensable.
Et puis Nicole Garcia excellente, François Perrot, Bernard-Pierre Donnadieu, Daniel Ivernel, Michel Beaune
Au final, "Le corps de mon ennemi" est un film bien réalisé avec une musique un peu entêtante qui repose sur un Belmondo inhabituel mais excellent.