Ce film est situé au début de la deuxième partie de la carrière de Jean-Paul Belmondo (qui durera jusqu'à l'échec du Solitaire !). La période où cet acteur légendaire alternait films d'auteur avec films populaires (mais ces derniers généralement d'une belle qualité !) est finie. Le désastre critique et la déception commerciale de Stavisky, deux ans auparavant, ont sonné le glas des œuvres un minimum ambitieuses.
Maintenant, c'est Bébel Tagada Boum Boum René Chateau hop hop hop il faut remplir le tiroir-caisse. Les Godard, Malle, Truffaut, Melville, Rappeneau, Resnais, de Broca (quand il était vraiment soucieux de la qualité scénaristique de ses films, donnant ainsi des pépites formidables !) et Verneuil (quand il se souciait d'avoir une patte personnelle et non pas de se soumettre à ses vedettes tout en faisant l'Américain du pauvre !) sont remplacés par les Lautner (ayant laissé sa personnalité au placard à partir de la fin des années 1960 pour être au service complet de ses stars !), Zidi, Deray (désolé, mais j'ai toujours trouvé ce cinéaste surestimé !), de Broca (quand il n'en a plus rien à foutre de ses scénarios !) et Verneuil (en Américain du pauvre, yes-man de ses têtes d'affiche !). Pour Oury, disons que pour L'As des as, étant donné que c'est le seul film à être bon et agréable venant de sa part dans l'après-Louis de Funès, je n'ai pas envie de le défoncer comme les autres.
Mais venons-en au film intitulé Le Corps de mon ennemi.
Le Corps de mon ennemi est un film un peu étrange quand on prend en compte son contexte. Je dirai même un produit hybride. Il a la base scénaristique d'une œuvre ambitieuse (telle que Belmondo aurait pu en tourner lors de la première partie de sa carrière et avec laquelle un Chabrol aurait brillé !), mais c'est un film de Bébel. Ce qui veut dire qu'il va mettre des pains avec des bruitages marrants et qu'on en vient à s'étonner qu'il ne se pointe pas avec son blouson de cuir, son gros flingue tout en faisant des cascades impressionnantes. Dans l'esprit, c'est ça.
L'ensemble demandait de la finesse et cela y va comme un beau bourrin. Bébel est un justicier réclamant vengeance face à une horde de notables de province pourris jusqu'à la moelle. Et ça vient bien appuyer pour faire comprendre en lettres de néon les motivations du personnage et que les méchants sont vraiment les méchants. Pas de délicatesse, pas d'ambivalence, pas d'ambiguïté, rien. Cela va juste y aller au bulldozer.
Pourtant, la structure complexe et déstructurée en flashbacks semblait réclamer autre chose, comme de la finesse, de la subtilité. Il y aurait pu y avoir une plus grande insistance avec le personnage de Marie-France Pisier, d'une classe sociale supérieure, mais sincèrement éprise d'un homme qui ne l'a utilisée que pour assouvir une revanche psychologique. Cela aurait été bien de plus creuser ce côté salaud et arriviste du protagoniste. Ben non, trop nuancé et pas assez manichéen.
Non, place complète à Bébel, le charmeur qui envoie des coups aux crapules, qui tombe toutes les femmes qu'il veut en dix secondes (je ne vais pas dire que ce n'est pas crédible ; qui peut résister à son charisme ravageur !), le héros sans peur et sans reproche, la virilité incarnée, le mâle alpha absolu. Et on ne peut pas s'empêcher d'y succomber, de vouloir être ce type cool qu'il incarne et qu'il était réellement ou, au moins, de l'avoir comme pote.
Reste que Bébel accroche le regard du début jusqu'à la fin. C'est divertissant. Je ne me suis pas ennuyé une seule seconde. Quelques dialogues réussis de Michel Audiard, même s'il a été plus en forme ailleurs. Dans les très grandes lignes, le scénario n'est pas si mal (surtout la manière dont s'accomplit le coup final !). Il y a une vision passéiste qui n'est pas sans contenir quelques contradictions (je doute que Verneuil s'en soit rendu compte ; du genre, par exemple, adieu les petits commerces d'antan, bonjour mondialisation matérialiste, mais il y a moins de risques de se faire traiter comme une merde par un vendeur hautain !). La distribution est intéressante aussi, plus par son contenu que par son utilisation, car rien d'inattendu à ce niveau-là (je voudrais tout de même faire une belle exception et mention à Bernard-Pierre Donnadieu, n'ayant besoin que d'une minute pour être inoubliable en homme de main menaçant, mais policé !). Par contre, à quoi il sert Charles Gérard là-dedans ? Ah oui, c'est pour placer un pote. Allez, j'ai bien aimé aussi le thème entêtant de Francis Lai.
Je passerai sur le côté prévisible total de l'intrigue.
Oh, mon Dieu, c'est Bernard Blier, le grand salaud derrière tout ça. Oh, quelle surprise... oh là là... Ouais, c'est plutôt le contraire qui aurait été étonnant.
Le Corps de mon ennemi, c'est un film d'auteur qui a été tourné comme un film Bébel. Mon côté critique préférera toujours le Belmondo jusqu'à Stavisky, mais mon cœur aura toujours une affection profonde pour l'homme, quelle que soit la partie de sa carrière concernée.