Jules Guiteaux, 83 ans, et sa compagne Félicie vivent dans une petite ferme en Bourgogne. Lui est forgeron, elle s’atèle à diverses tâches à la ferme.
Dominique Benicheti , qui est un cousin lointain de Jules, filme le quotidien de ce couple âgé, s’attardant sur les petits gestes quotidiens. Il filme Jules de 1968 à 1973, 5 ans, qu’il condense dans le film sur une seule journée. Jules se réveille avec le chant des coqs, accompagné de Félicie, mais termine sa journée seul, assis devant la table de sa cuisine. Car durant ses 5 années et matérialisé par une très belle ellipse, Félicie disparaît, laissant Jules seul, ce dernier redéfinissant alors son quotidien en poursuivant les mêmes gestes ou en en inventant d’autres.
Cadré dans un cinémascope sublime, qui met autant en valeur les paysages de pâturages bourguignons que le visage et le corps des personnes qui les arpentent, le film de Benecheti bouleverse. Il bouleverse par sa très grande douceur, sa simplicité et sa lumière, pour filmer un quotidien pourtant rugueux. Il bouleverse pour sa manière de filmer une routine, simple, peut être terne, peut être heureuse, peut être pénible, on en sait rien. C’est une routine. Le film ne cherche jamais à juger celle-ci de façon optimiste ou pessimiste. Ils sont là, ils font ça, ils vivent, point. Le metteur en scène saisit les petits gestes quotidiens précis, huilés, en les rendant passionnants, essentiels. Il choisit de filmer en prenant son temps, en laissant le temps s’écouler, en captant les petits détails, de façon à faire réellement exister ces gestes, à les ancrer dans le réel, permettant de les rendre palpables et beaux. Il forge des petits objets, elle prépare le café, elle coupe des pommes de terre, il se rase, d’autres ramassent des fagots et font avancer une charrette.
Tous ces gestes, pourtant banals, sont magnifiés et deviennent grandioses, fabuleux. Car ils sont les composants essentiels d’un quotidien précis qui devient un microcosme unique, un univers tout entier, une unité de lieu rapidement familière possédant sa propre musicalité. Peu de dialogues mais beaucoup de sons, de musiques, celle des coqs, des vaches, des cloches, celle de la ferraille que Jules travaille.
Il y a bien sûr cet évènement tragique au milieu du film, que l’on ne voit pas, que l’on ne comprend pas immédiatement. Le film ne l’explique pas, il se contente de filmer Jules avec elle, puis Jules sans elle. Ce qu’il faisait et ne fait plus, comme son art de forgeron. Et ce qu’il ne faisait pas et fait désormais, comme préparer la soupe ou nourrir les poules.
Bien sûr le plan qui clôt le film est saisissant, Jules assis à sa table au milieu de sa cuisine, filmé depuis l’extérieur de sa maison au milieu de la nuit, seul. Dans une tâche de lumière au milieu de l’immense obscurité. Mais ce qui est bouleversant, et que le film montre dans ce plan et montrait durant toutes les minutes précédentes, c’est qu’il ne filme pas là le tragique d’un homme seul, il filme simplement un homme, un homme qui est là et qui vit. C’est sublime.