Sur le Jauréguiberry, un navire partant dans les mers de Terre-Neuve porter assistance aux bateaux de pêcheurs, deux hommes se remémorent leur passé. L’un est commandant (Jean Rochefort), l’autre médecin (Claude Rich). Tous deux ont connu, pendant les guerres d’Indochine et d’Algérie, un homme exceptionnel, surnommé le « Crabe-Tambour » (Jacques Perrin). A travers leurs souvenirs, le fil de sa vie se dessine peu à peu sous nos yeux. L’occasion pour nous de comprendre que cette dernière mission du commandant a aussi un but plus personnel…
De ce récit somme toute assez convenu, Schoendoerffer tente de tirer une sorte d’épopée intérieure au ton quasi-mystique, qui n’est pas sans évoquer Le Désert des Tartares de Dino Buzzati ou, pour le cinéma, La Ligne rouge, de Terrence Malick. On y retrouve malheureusement l’excessive lenteur due à ce genre de récit, Schoendoerffer parvenant rarement à transcender ce qu’il nous montre avec sa caméra. Il peine à rendre crédible la dimension métaphorique d’un film beaucoup trop décousu, voguant d’une scène à l’autre parfois sans rapport aucun, et qui oublie de tirer une morale de l’allégorie ainsi offerte au spectateur. De fait, difficile de voir comment tirer une leçon de l’histoire d’un recteur fou qui fait voir un signe divin à ses paroissiens dans le sillon des avions comme j'aurais tout autant de mal à en tirer une du spectacle d’un vieux militaire qui jette par terre les verres du bar où il se trouve en égrenant les noms des bateaux disparus durant la bataille de l’Atlantique…
Pourtant, il est vrai que se joue sous nos yeux un drame humain qui aurait pu être réellement prenant si on n’avait pas oublié de rendre les personnages attachants. Il faut donc tout le talent d’acteurs exceptionnels pour parvenir à faire ressortir derrière la froideur et l’inhumanité de ces personnages mutiques, ou derrière la quasi-totale absence de mise en scène (sans parler de la musique de Sarde, atroce et langoureuse), des enjeux humains présents. Malheureusement trop discrets mais pourtant bien présents.
Car Le Crabe-Tambour, c’est aussi le spectacle de l’honneur perdu qui cherche à se faire pardonner. C’est le spectacle d’un gouvernement abandonnant ses responsabilités, rougissant soudainement d’avoir aidé au développement de tant de pays, de tant de populations, et les abandonnant à leur propre sort. C’est encore le spectacle d’un homme refusant de courber l’échine face à la traîtrise de son gouvernement et à l’instrumentalisation de l’armée par ce dernier pour arriver à ses fins. C’est aussi le spectacle de l’honneur bafoué, qui se dresse encore, droit jusqu’au dernier instant, face à l’injustice, face à la lâcheté, non pas de ses supérieurs, mais de ceux au service de qui ils se sont mis. C'est enfin le spectacle d'un monde occidental en pleine débâcle intellectuelle, en pleine négation de sa propre histoire, en pleine négation de lui-même. C’est un spectacle triste et grandiose, donc, mais Schoendoerffer peine malheureusement à le restituer dans toute son intensité.
Malgré l’ennui qui s’en dégage, on sort tout de même de ce Crabe-Tambour en regrettant une époque où le monde du cinéma n’était pas encore régi par le politiquement correct, et où même le film le plus politiquement (et historiquement) incorrect pouvait recevoir des récompenses… Pour autant, ça n'en fait pas une grande oeuvre du cinéma.