Trois ans après son premier long-métrage, l'inclassable Bernie, Dupontel présente Le Créateur, tourné avec la même équipe. Un homme handicapé, auteur de pièces de théâtre à succès grâce à l'alcool, se trouve en panne d'inspiration. Mis sous pression et engagé malgré lui, il parvient à écrire une pièce au fur et à mesure mais doit surtout masquer son impuissance. Pour résoudre cette panne, il comprend qu'il doit faire le Mal, car les créateurs doivent franchir les limites que se pose le commun des mortels. Mais il ne sait pas comment s'y prendre, de plus ses angoisses métaphysiques et ses scrupules sont toujours là, à narguer son inspiration désolée.
L'écriture est géniale, la mise en scène est digne d'un Gilliam très brutal muté en Carot/Jeunet, le film recèle des performances énormes. Il est aussi épuisant, poussant l'énergie 'extravertie' à son degré le plus haut, totalitaire et pathologique. Darius (Dupontel) souffre des attitudes aberrantes des autres, le monde apparaît absurde jusque dans sa violence, les voisins et l'entourage sont des normopathes tellement profonds qu'ils apparaissent d'une excentricité ahurissante. Le film est jubilatoire pour sa franchise totale et constitue une espèce de sublimation frustrante. Il se met au niveau de son héros, ne sachant capturer son inspiration et restant otage du monde émergé.
Il en tire une énergie sans fin mais rebondit sans pouvoir créer et encore moins saisir des images ou des idées. Pendant que tout le 'théâtre' autour de la création se déploie, une ambiguité se crée. Le créateur devient une entité, entre Darius lui-même et le public. Darius est le directeur de son 'monstre' intime et sa justification, son déguisement : de cet archétype sauvage, comme de tant d'autres (la créateur et sa dimension démiurgique, la définition du malheur), Dupontel fait la démonstration dans son film. Il prend les clichés philosophiques les plus obscènes, ces amulettes de l'extraversion totale et les retourne en leur donnant une représentation folklorique. Il est d'une grande inventivité, inépuisable – parfois psychédélique, toujours (ou presque) déréalisante.
Ce manège hystérique ne se fonde que sur du pur gadget : il triture la matière, nie les ressources et donc leur épuisement possible, n'admet paradoxalement que les murs concrets pour s'arrêter et les attitudes grégaires pour se canaliser (le créateur, ici en tout cas, est dépendant des autres et n'existe que par et pour la société). La limite du film est l'absence de source – pas seulement interne, c'est qu'il n'y a de fondements dans rien : les règles et les choses sont là et c'est tout. Il y a une présence outrancière ; mais pas de caractère, que des formes sauvages et agitées. C'est assez contrariant. Du coup, les performances peuvent être impressionnantes ou vénérables, mais elles n'ont pas de ciment, de fond ; donc tous ces élans semblent sans racines. Ce sont des impulsions, des démangeaisons, de l'artificiel. De l'imagination sans ordre, de l'esprit dépourvu de sens. Ça fait la grandeur du film, mais peut également bloquer.
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