Je suis en général séduite par les films de Kenneth Branagh. En conséquence, j'aborde ses projets toujours avec un a priori positif.
La bande d'annonce de cette adaptation d'Agatha Christie ne m'ayant pas particulièrement attirée, je ne me suis pas précipitée mais j'étais néanmoins confiante.
Malheureusement, me voilà déçue et sur certains aspects très en colère.
Il y a 2 niveaux à ce film : l'adaptation qu'il est sensé être et le film en lui même.
En ce qui concerne l'adaptation: c'est catastrophique, proprement catastrophique.
Le scénariste s'est fourvoyé dans des changements, inutiles, qui créent des trous là où il n'y en a pas.
En effet, la mécanique d'Agatha Christie est connue et reconnue de part le monde. Ce n'est pas qu'elle aie inventé le genre mais elle l'a porté à sa quasi perfection. Ce roman étant justement le récit d'un crime parfait, il serait de bon ton de ne pas se prendre les pieds dans le tapis.
L'équilibre des personnages, de leurs actions, de leurs intentions est primordial à la crédibilité de ce meurtre.
Et si on change 1 seule chose, l'équilibre est perdu. C'est ce qui se passe ici et à plusieurs reprises. Certaines déductions faites dans le roman sont maintenues mais sortent de nulle part puisque les entretiens et les indices ne sont pas les mêmes par exemple.
Le Capitaine Arbuthnot devient le médecin (qui normalement est un personnage autre qui dort en seconde classe et est donc au dessus de tout soupçon) et fournit donc son diagnostique d'expert sur le meurtre dans lequel il est impliqué! NON !!!!
Que dire de cette déduction idiote qui sort de nulle part lorsqu'Hercule supputant que Linda Arden avait pris un nom de scène parce qu'elle était juive, saute directement à la conclusion que la Comtesse Andrenyi ayant un nom de jeune fille juif, elle est sa fille. WHAT!!!!
D'autre part, pourquoi faire d'eux des danseurs? Est-ce que cela apporte quelque chose au film? A part de créer un lien factice et fallacieux entre les 2 femmes parce qu'elles sont artistes? D'autant qu'il sont toujours Comte et Comtesse avec un passeport diplomatique! Evidemment que les Comtes Hongrois diplomates font aussi des tournées de danse en Europe, EVIDEMMENT!
En bref, des inversions de background, de motivations font que le château de carte est très bancal. Il ne s'effondre pas mais ce n'est pas loin.
Ce qui fait la force du récit de Christie, c'est le huis clos, ici on sort du train, des gens arrivent et repartent, c'est aussi les interrogatoires et la minutie de Poirot. Notre Poirot ici est maniaque mais pas minutieux. Les interrogatoires sont tronqués ou allongés à loisir : le traitement des personnages n'est pas égalitaire, alors qu'il devrait l'être.
Je comprends que Ken aie tenté de mettre un peu de mouvement dans un film très statique pour une audience moderne avec une course poursuite dans l'échafaudage du pont, mais cette poursuite ouvre la porte au n'importe quoi et met en danger le plan des personnages. Le Plan altéré à cause de la présence de Poirot, mais le Plan qui se tient, qui brouille les pistes, où chacun tient son rôle jusqu'au bout et le tient bien. Ici, c'est n'importe quoi.
Ils ont tous l'air coupable au lieu d'avoir tous l'air innocent, ce qui est le PLAN!
Voilà le problème du film en tant qu'adaptation et que scénario.
Ce qui me permet d'enchainer sur les problèmes du film en lui même, (Cette liste de changements est bien évidemment non exhaustive et je n'ai pas cité les "plus pires" !)
Donc, que vaut le film, à mon avis, en tant que film, si on laisse de côté l'aspect adaptation. Hé bien, pas grand chose non plus.
Branagh fait toujours preuve de son inventivité visuelle avec de longs travellings qui nous permettent de rentrer dans l'ambiance, à la gare notamment, présentant les personnages en 1 seul plan. Les personnages qu'il va traiter en tout cas, certains n'auront pas cette chance.
Tels le comte et la comtesse danseurs. Une introduction maladroite et mal foutue et un petite scène maladroite et mal foutue et ..... Pas de personnalité, rien.
Ceux qui se taillent la part du lion en terme de présence à l'écran sont Miss Debenham (Daisy Ridley), Arbuthnot (Leslie Odom), Mrs Hubbard (Michelle Pfeiffer); MacQueen (Josh Gad), et la nurse espagnole (Penelope Cruz, je n'ai pas retenu le nom qui n'est pas celui de l'original désolée) pour dieu sait quelle raison : ils n'apportent pas plus que les autres à l'intrigue. Tous les suspects sont sous traités au profit de la course poursuite ridicule citée plus haut.
On perd aussi beaucoup de temps avec une ouverture très très mauvaise. Certes, il établit son personnage, SON Poirot avec cette histoire d'oeufs qui prend beaucoup trop de temps mais la démonstration théâtrale devant le mur des lamentations est mauvaise. L'écriture est mauvaise, le rythme est mauvais, elle ne prouve rien d'autre que Poirot sait faire du spectacle et devine bien, mais il ne prouve rien, aucun motif, aucune analyse. N'est pas Agatha qui veut.
Cette scène est d'autant plus regrettable qu'elle mange un temps précieux que nous aurions pu passer dans l'Orient Express à connaître les personnes qui y voyagent. Le film aurait pu commencer dans les cuisines avec la rencontre avec Bouc (personnage charmant mais totalement improbable).
Bref, les choses s'enchainent sans queue ni tête et c'est dommage.
Pour se terminer par une dernière scène pathétique de démonstration. Il n'analyse encore rien, il semble en venir à la conclusion sur le moment, juste comme ça et cette confrontation avec la mère est idiote. C'est n'importe quoi. Je ne le mets même pas dans les défauts d'adaptation parce que c'est mauvais en soit!
Pourquoi sont-ils assis comme dans la Cène, mystère, pourquoi la mère est-elle Jésus? Ce sont des meurtriers, des meurtriers avec des raisons, que l'on peut juger bonnes (j'y reviendrai), mais des meurtriers! Il semble ici présentés comme des sacrifiés. Alors oui, il y a un thème récurrent de la fracture que provoque un crime, la fracture qui se répend et détruit plus qu'une ou 2 vies mais la métaphore se suffit à elle même sans cette imagerie qui sort de nulle part en plus. C'est kitsch dans un film qui ne l'est pas. C'est un film fait à l'ancienne, mais qui n'est pas ringard (à part ce choix). C'est à mettre à son crédit.
Les décors sont très bien, sauf dès qu'on sort du train où on voit l'écran vert en permanence (il prennent le thé dehors et il n'y a même pas de buée quand ils parlent!)
Côté casting, Ken a repris la grande tradition des Poirot et aligne les noms, plus ou moins.
Malheureusement avec un casting pareil, on ne peut qu'imaginer ce que cela aurait donné si les personnages avaient été correctement construits et écrits.
Michelle Pfeiffer est trop en demi-teinte pour transmettre l'exaspération que doit générer Mrs Hubbard, Johnny Depp a abandonné toute subtilité, Judy Dench n'est pas suffisamment utilisée pour faire quoi que ce soit, Josh Gad s'en sort bien avec un personnage dénaturé, Derek Jacobi est gâché par sa non présence et des scènes idiotes etc .....
Les costumes sont corrects et pour finir, la moustache. Je dis non à la moustache. Ce n'est pas ça qui fait le film mais cette moustache anachronique et en contradiction totale avec Poirot m'a épouvantée. Elle est la source d'une erreur crasse (celle du cache moustache pour dormir présenté dans une scène et qui disparait opportunément la nuit suivante). Cette horreur, pas toujours posée comme il faut et de la même manière, est clairement une relique du siècle précédent qui n'a pas sa place dans les années 30. Poirot suit la mode, il est coquet, d'où le soin qu'il apporte à sa moustache et son apparence.
Pour finir :
Il y a également des problèmes basiques de continuité. Exemple : le train est arrêté par une avalanche qui le fait dérailler. On voit clairement les portes et les personnes valdinguer, Poirot en tête.
Lorsqu'ils ouvrent la porte de Ratchett, il est gentiment toujours sous sa couverture, tout le fourbi qui se trouve sur la table de nuit est bien en place dans la mise en scène prévue, avec le cure pipe, bien par terre. Comment tout ceci est-il resté en place quand on a vu les conséquences du déraillement?
Mais les choses doivent être toujours en place puisque l'enquête le nécessite, comme dans le livre où le train ne déraille pas! Et voilà, une erreur qui aurait pu être évitée soit en ne changeant pas quelque chose qui n'en a pas besoin ou bien en travaillant mieux son script.
En un exemple, tout ce qui ne va pas dans ce film.
La plus grosse erreur cependant, à mon sens, et qui met toute l'intrigue par terre, c'est le changement de l'affaire Daisy. Je reviens un peu aux altérations mais cette altération rend tout le scénario nul et non avenu au lieu de créer quelques trous que l'on peut ignorer parfois ou des tirages de plan sur la comète.
En effet, alors que Penelope Cruz a clairement vu un homme dans la chambre de Daisy Armstrong, dans ce film, la petite bonne (soeur du contrôleur) est arrêtée pour l'enlèvement, jugée et elle se suicide. NON, Cruz a clairement vu un homme, pourquoi arrêter un femme?
D'autre part, Casseti n'est ici pas lié au meurtre de Daisy puisqu'il n'est pas arrêté, pourquoi ces personnes le poursuivent lui? Si j'ai loupé un morceau de dialogue, dites le moi.
Dans le roman, le petite bonne est accusée de complicité et elle se suicide puis Cassetti est arrêté et le jugement n'est pas mené à terme pour vice de forme.
Ce monstre s'en est donc tiré et il ne peut être rejugé pour ce même crime d'où le plan de le tuer à 12 parce qu'il n'y a pas d'autre solution.
Dans le cas présent, il n'a pas été jugé, il leur est tout à fait possible de réunir des preuves et de le remettre à la police pour qu'il soit jugé. Ce meurtre collectif n'est plus justifiable!
Voilà pourquoi on ne fait pas de changements juste pour faire du changement et qu'il faut réfléchir.
Mon conseil, vous voulez voir une bonne enquête et un bon Poirot, voyez la version avec David Suchet. Il court beaucoup moins mais votre cerveau sera au nirvana.