Alors qu’il fait du tourisme à Istanbul, le détective Hercule Poirot (Kenneth Branagh) reçoit un télégramme l’appelant d’urgence en Angleterre. Il embarque alors sur le célèbre train de l’Orient-Express. Mais voilà qu’une avalanche vient entraver la voie, bloquant le train pour un temps indéterminé. Cela ne serait rien si, tout-à-coup, un passager (Johnny Depp) était sauvagement assassiné de douze coups de couteaux…
On pourrait se lasser de voir un réalisateur adapter encore une fois le roman sans doute le plus célèbre de toute la littérature policière, alors que deux très bonnes adaptations en ont déjà été tirée, celle de Sidney Lumet en 1974 et celle issue de l’excellente série avec David Suchet.
Pourtant, à l’image de Lumet, Branagh met toutes les chances de son côté en réunissant un casting de rêve. Il sait en effet la qualité de son casting, et c’est véritablement un plaisir de le voir valoriser ses acteurs au maximum (l'étonnamment sobre Johnny Depp, la sublime Michelle Pfeiffer, la pétillante Daisy Ridley, la royale Judi Dench, le mystérieux Willem Dafoe, l'impulsif Leslie Odom Jr., le craintif Josh Gad, le distingué Derek Jacobi, l'ombrageux Sergei Polunin... tous ont leur caractère propre), en leur donnant à tous l’occasion d’illustrer toute l’étendue de leur talent chacun dans sa propre scène. C’est d’ailleurs sans doute au casting, allié à l’écriture étonnamment soigneuse de Michael Green (passée une scène d’introduction traitée par-dessus la jambe), que l’on doit de voir s’instaurer une véritable émotion lorsqu’il s’agit de creuser le passé des personnages, une émotion qui culmine là où on ne s’y attendait vraiment pas : dans la scène du meurtre. Ce dernier prend en effet une dimension toute autre lorsqu’on a appris (ou non, pour les lecteurs du roman) tout ce que le film nous a raconté avant, et instaure un dilemme fort bien exploité au travers du personnage d’Hercule Poirot, que Branagh occupe avec une sobriété qui étonnera tous ceux qui l’ont déjà vu jouer dans ses propres films. C’est en effet un Hercule Poirot torturé qu’il joue ici, et si le détective apparaît parfois trop caractériel par rapport au personnage des romans, Kenneth Branagh lui donne une profondeur très intéressante, par la réflexion sur la justice qui anime le détective et le spectateur à la fin. Certes, on pourrait trouver que le film manque légèrement de subtilité, mais les connaisseurs de Branagh savent bien que ce n'est pas à ce niveau qu'il faut attendre le réalisateur, et dans Le Crime de l'Orient-Express, il compense mieux que jamais cette absence par la qualité visuelle et scénaristique de l'ensemble.
Tout cela ne serait donc rien si Branagh ne voyait en plus dans cette adaptation d’Agatha Christie l’occasion de déployer comme jamais son génie visuel au travers de superbes images, dans lesquelles le réalisateur parvient à minimiser ses excentricités habituelles de mise en scène sans pour autant renoncer à la fluidité qui caractérise ses films. Par ses plans soignés et très réfléchis, Le Crime de l’Orient-Express est en effet une belle leçon de cinéma, d’autant que les décors de Jim Clay, alliés à la magnifique photographie d'Haris Zambarloukos, sont d’une somptuosité de tous les instants, qu’il s’agisse des plans larges sur la montagne ou bien des intérieurs cossus de l’Orient-Express. Au rythme de la magnifique partition de Patrick Doyle, Kenneth Branagh réussit donc à insuffler une vie sans pareille à tout son monde (la reconstitution grouillante de Jérusalem au début du film, littéralement immersive), ressuscitant pour le meilleur mais jamais pour le pire le grand classique d’Agatha Christie.
A l’issue de ce film, difficile de ne pas en redemander, et ce n’est donc pas sans plaisir que l’on assiste, dans une délicieuse scène finale, au départ d’Hercule Poirot pour le Nil, où un mystérieux meurtre requiert toute son attention… Une nouvelle que Mme Linnet Ridgeway n'a pas dû accueillir avec un immense plaisir. Très égoïstement, moi, si.