Ayant beaucoup apprécié l’original, je dois avouer que ce remake me laissait un peu sceptique. D’une part, on avait droit à un casting cinq étoiles plus qu’alléchant, de l’autre si Bragnah a une patte visuelle que j’apprécie beaucoup, ces films récents ont plutôt eu tendance à être soit une déception, soit plutôt moyens. Au final, il en ressort un remake plutôt bon et intéressant, avec même plusieurs très bons points. Bien sûr, quand on connaît l’histoire, il n’y a pas vraiment de suspens dans le film même, mais j’ai trouvé le rythme très bien dosé. Notamment cette première partie du film qui présente le personnage d’Hercule Poirot aussi bien à une audience habituée qu’une nouvelle audience, et c’est diablement efficace. Tout comme le voyage avant le fameux meurtre : présentation des personnages digne d’un vrai polar, une ambiance mystérieuse et captivante.
Puis lorsque le cœur de l’intrigue débute, on se laisse facilement transporter par les réflexions de Poirot, ses doutes ou bien ses déductions. Certes, parfois ça peut sembler presque un peu too much, mais c’est dans l’esprit du personnage et l’ambiance reste diablement efficace et nous tient en haleine, même quand on connait la fin. La fin qui sera d’ailleurs la surprise du film. Non pas qu’elle soit différente, mais de par son approche. Là où on aurait pu avoir quelque chose de dramatique, théâtrale, grandiose (comme la première scène du film), on a au contraire quelque chose de très humain, presque tragique. Et j’ai trouvé cette approche forte intéressante pour se dissocier de l’original. Certes, ça peut décevoir ou décontenancer ceux qui attendaient au tournant ce passage, mais j’ai trouvé ça vraiment très bien mené. Et puis le final est très poignant, le dernier discours de Poirot, avant que le film ne parte sur du teasing de masse qui m’excite déjà pour la suite !
En fin de compte, la seule chose qu’on pourra vraiment reprocher au film, ce sont ces quelques scènes d’actions fulgurantes qui surgissent au milieu, sans de raisons apparentes (à part la main du studio), et qui du coup semblent un peu décalées par rapport au reste du film, mais également casse l’ambiance et le rythme si soigneusement mis en place.
Sur le casting, on a du beau monde, et on est servi. Johnny Depp s’en sort étonnamment bien, même si on reste dans un jeu qui lui est propre. Penélope Cruz m’a paru un peu timide et en retrait, tout comme Derek Jacobi et Willem Dafoe, même si tous trois proposeront quelque chose de très corrects et adequat. Judi Dench vole pratiquement la vedette à chacune de ses scènes. Michelle Pfeiffer porte sont rôle également plutôt bien, tout comme Daisey Ridley et Leslie Odom Jr ou Tom Bateman et Marwan Kenzari. Mais bien sûr, celui qui vole un peu la vedette, c’est bien sûr Kenneth Bragnah.
Je ne vais pas le comparer à Albert Finney, parce qu’ils ont tous deux une approche un peu différente. Mais Bragnah est tout simplement impressionnant dans son rôle. Il s’accapare le personnage, et lui donne une toute autre dimension au-delà du simple détective génial. C’est un personnage avec un passé, des émotions, des convictions et également des failles. Mais au-delà de tout ça, je salue grandement Kenneth pour l’énorme travaille qu’il a fait sur son accent. Au point que l’ami anglophone avec qui je suis allé voir le film était persuadé que l’acteur (n’ayant pas reconnu Bragnah avec sa moustache) était français ou belge ! Et franchement, c’est à mettre tout au crédit de Bragnah, qui m’a franchement impressionné. On sent qu’il y a du travail, que ça lui demande beaucoup de concentration, mais il réussit presque à nous tromper. Presque, parce qu’il y a encore quelques sons qu’un anglophone aura du mal à reproduire en français, ou bien qu’un francophone aura du mal à dire en anglais ; mais franchement, on se laisse très facilement prendre au jeu, et le plus impressionnant c’est que ce n’est pas forcé.
D’un point de vue technique, le film m’a régalé. La musique de Patrick Doyle est plutôt discrète, mais crée une atmosphère très efficace et prenante, toujours dans le bon ton par rapport au déroulement de l’intrigue. Les décors sont fabuleux, que ce soit la reconstitution du train (je me demande s’ils ont utilisés les wagons d’origine comme dans le film de Lumet), Istanbul du début du siècle en CGI, ou bien ces grands décors naturels, souvent en CGI aussi, mais vraiment réalistes. On peut donc d’ailleurs souligner des effets spéciaux globalement très corrects.
Mais mon gros coup de cœur, c’est la mise en scène. J’aime beaucoup la patte de Bragnah, il a un style qui lui est propre, et encore une fois il propose quelque chose de très personnel et fabuleux à regarder. Il y a bien sûr ces grands plans larges d’ensemble qui glorifient les décors et la solitude de l’Orient Express, mais ce n’est pas que ça. Dans la construction de l’atmosphère, avec ses plans très resserré à bord du train, presque étouffants, jouant parfaitement avec les éléments du décor. Il y aura le jeu sur les reflets et la lumière. Et puis ces plans en vue de dessus à plusieurs reprises, donnant une vision en plongée direct sur ce qui se passe dans les compartiments, exacerbant au passage l’étroitesse des lieux. La façon aussi dont chaque personnage est présente au début du film, presque de façon clichée et très années 50 – 60, mais qui fonctionne à merveille.
Et enfin, il y a cette scène d’introduction de l’Orient Express, avec un plan-séquence qui suit Poirot à travers la gare (on en aura d’autres par la suite), croisant certains personnages au passage, jusqu’à ce qu’il embarque à bord du train pour alors enchaîner sans coupure (et donc toujours en plan-séquence) sur un long traveling le long des wagons où on fit de croiser et présenter les différents personnages. Cette scène, elle est magique, elle m’a mise des étoiles plein les yeux tellement j’adore ce genre de mise en scène.
Bref, Le Crime de l’Orient Express est un remake plus qu’honnête et franchement intéressant. Peut-être pas au niveau du film de Lumet, que j’apprécie énormément, mais c’est une version moderne qui reste ancrée dans l’époque tout en étant très juste avec notre époque actuelle. Il vaut le détour !