Il y a des livres que l'on lit en en sachant le dénouement à l’avance. Le Crime de l'Orient Express fait partie de ceux-ci. Connaissant le nœud de l’intrigue depuis des années, je me suis finalement plongée dans sa lecture et c'est curieuse, que le soir-même, je m'immergeais un peu plus avant dans ce que je pensais être le monde d'Agatha Christie en visionnant le récent film du même nom.
Tout d’abord, et pour ceux qui ne sauraient pas qui est Hercule Poirot, le film s'ouvre sur une présentation simpliste et obséquieuse de celui-ci, mettant en avant et en quelques minutes, une maniaquerie pour la balance parfaite des choses, sa nationalité, son talent indéniable pour résoudre les énigmes les plus complexes (ironie) ainsi que sa profondeur et une certaine fragilité. Nous voilà donc introduits à un Hercule Poirot dont la moustache attire tous les regards mais qui ne cadre pas avec le physique que nous lui connaissons d'habitude et parlant le Français avec un accent qui sonne tout sauf Belge. Nous serons tout de même reconnaissants de ne pas devoir souffrir les classiques clichés allant de pair avec cette nationalité et que l'on aurait pu craindre. Cependant plus nous avancerons dans la narration et plus celui que l'on se prend à voir comme un imposteur dénature non seulement les habitudes mais également la personnalité pourtant si singulière de ce détective si pas attachant, du moins original, allant jusqu'à lui inventer un passé amoureux apparemment encore douloureux.
Au-delà du protagoniste principal, c'est en outre l'intrigue qui souffre d'un relifting et peut-être d'une coupe un rien trop drastique. Avec un casting digne de celui-ci, nous étions pourtant en droit d'attendre un peu plus du jeu des acteurs. Le malheur veut cependant que Johnny Depp, incarnant passablement son rôle d’homme peu recommandable disparaisse assez vite du champ, se voyant réduit à l'état de cadavre. L'on déplore de plus que le reste des personnages se trouve cantonné à des dialogues pauvres, décousus et manquant de sel, voir à de la simple figuration. Ils se résument ainsi à des façades dont les histoires nous échappent, privés que nous sommes de l'habituel va et vient des témoignages, interrogatoires et confrontations permettant d'apprendre à les connaitre. L'enquête avance donc sans que l'on ne comprenne comment, pour peu qu’enquête il y ait vraiment et qu’elle avance en effet…
Aussi, dans une tentative de dynamisation du rythme presque inexistant, le scénario se voit bousculé en quelques occasions par des scènes d'action inattendues et peu pertinentes. Poirot lui-même en vient très improblablement à se balader sur le toit du train, à enfoncer des portes, à se lancer dans une course poursuite, à s'emporter, à accuser avant l'heure, à tout va et avec virulence et même à se faire tirer dessus ! Parmi ces essais d’originalité en vue de pimenter un peu la narration, nous pouvons de même noter certains de ces cadrages parfois alambiqués qui nuisent encore un peu plus à la compréhension globale de l'histoire en ne permettant parfois pas d'identifier clairement ce qui nous est montré à l'écran.
Je finirai ma liste de récriminations, avant de passer à quelques points plus positifs, en notant tout d'abord qu'il est un rien dommage d'avoir si peu tiré parti du huis-clos pourtant bien mis en place avec le dramatisme du pont mais vite dissolu par l'arrivée inutile d'une troupe de figurants supposés déblayer les voies. Aussi, le bien-fondé de la référence faite à la Cène me semblant assez vague, il m'est apparu presque risible de marteler trois fois cette prise de vue au spectateur, de peur que celui-ci n'ait pas remarqué du premier coup ce clin d'œil pourtant assez gros et apparemment crucial.
Pour clôturer cette critique, il me semble tout de même important de souligner que cette (ré)adaptation a le mérite d'amener une littérature qui se perd peut-être, auprès des plus jeunes générations et de dépoussiérer un classique. Aussi, certaines vues magnifiques, notamment de Jérusalem, d’Istanbul et du trajet en montagne nous offrent quelques secondes de véritable évasion et de voyage, renouant ainsi avec une des passions d'Agatha Christie. Dans l'ensemble, l'esthétisme du film est d'ailleurs plaisant, lisse et soigné. Esthétique qui nuit par contre à Hercule Poirot qui en perd sa personnalité dans cette tentative peut-être compréhensible mais non excusable de le rendre plus accessible et appréciable au public. Si je suis attachée aux traits de ce fameux détective, c'est qu'il me semble plus un monument qu'un personnage et que son unicité réside dans son génie et le fait que l'on ne puisse pas réellement s'identifier ni entrer en empathie avec lui. Je ne suis cependant pas fermée à toute modernisation ou adaptation des classiques et ne vois pas d'un mauvais œil des prises de libertés sur les décors, les personnages et leur histoire ou encore une certaine américanisation de l'intrigue instillant le thème de la prohibition ou de la ségrégation raciale. Il est par contre dommage que ces ajouts, au lieu de compléter ou de renfoncer l’intrigue se fasse au détriment de celle-ci. S’il se laisse regarder, ce film n’en reste pas moins une enquête bâclée sans ressort même comique et qui décevra les amateurs de la Reine du Crime en amenant à une morale réchauffée sur fond de coucher de soleil façon western là où l’œuvre originale finit magistralement et en toute simplicité.