Dieu, Shakespeare, Branagh. De cette dégradation en trois temps, retenons la constance au sein de la filmographie du petit dernier, à la fois acteur (de théâtre et de cinéma), réalisateur et, dans ses propres productions, homme de connaissance en rivalité directe avec le Créateur. Nous avions Frankenstein défiant l’exclusivité divine de la naissance, voici venir Hercule Poirot. Un train gelé aux passagers tout autant figés dans des rôles qui ne leur vont pas, une intrigue tirée d’une des plus grandes – mais guère des meilleures – romancières policier et ici réduite à un imbroglio de situations convenues où les horribles flashbacks n’ont d’égal que la dilatation du suspense dans une préciosité verbeuse aussi creuse que sotte, une mise en scène chichiteuse dont on retient exclusivement la laideur. Pas de doute, le spectateur a pris place à bord de cet Orient-Express 2017.
L’ouverture correspond point par point au nom de ce train : soit une scène de révélation expédiée en plein Jérusalem (on hésite à relever le terme révélation d’une majuscule) qui porte en elle, telle une prolepse, tout ce qui ne va pas dans ce film : un découpage des plans mal fichu, un montage qui tue dans l’œuf la dynamique générale, une musique signée Patrick Doyle dont l’entrain ne convient guère à la mollesse de l’ensemble. Le long-métrage souffre d’un mal qui n’a de cesse de le gangrener : réunir un si grand nombre de stars pour les enfermer dans des prestations individuelles et coupées de toute interaction avec autrui, comme cloîtrées dans les cabines du train. Rien ne communique. On ressent l’envie de Branagh de rejouer à l’identique The Grand Budapest Hotel – ou À Bord du Darjeeling Limited – : même avalanche de célébrités, même structure fermée (un hôtel, un train) qui ouvre néanmoins sur des montagnes, même incertitude de ton. Sauf que Branagh n’est pas Anderson. Et qu’il avance comme un éléphant dans un magasin de porcelaines.
Le film serait, à la rigueur, médiocre si le réalisateur-acteur ne revendiquait pas un nombrilisme dégoûtant, doublé d’un rapport à la justice et au sacré on ne peut plus contestable. Car ce qu’affirme et incarne Poirot, c’est la propension d’un esprit supérieur à faire justice soi-même, dans un déni des procédures et des lois qu’il s’efforçait jusqu’alors de respecter. Élu christique, le détective est doué d’omniscience et de clairvoyance, n’a besoin que d’être en paix avec sa conscience, d’avancer blanchi par la neige vers un horizon nouveau. Dès lors, les voyageurs deviennent un faire-valoir, vaste trompe-l’œil destiné non pas à condamner le meurtre, mais à légitimer les jugements d’un messie autoproclamé. Il faut voir la clausule où est reproduite la Cène avec, à la place des apôtres, les suspects ! Investir de la sorte un divertissement grand public, y ajouter des acteurs et des actrices réunis sur l’affiche comme des prostitué(e)s derrière une vitrine, tout cela est honteux, frauduleux, détestable. On ne saurait suffisamment prier pour qu’une suite ne gagne jamais les écrans de cinéma : on y verrait pousser des ailes à notre moustachu, à moins que sa moustache, justement, n’en soit déjà l’incarnation.