S’il existe un cinéaste plein de potentiel, qui en réalité fût un gros ballon de baudruche se dégonflant inlassablement durant 40 ans de carrière. Sans jamais réussir à parvenir au niveau de son second long métrage (et ça c’est toujours embêtant quand on réalise prématurément un chef d’œuvre intemporel), c’est bien Tobe Hooper. Qui à Hollywood est un véritable cas d’école.
Si jusqu’au début des années 1980 ses réalisations tiennent encore la route, à partir de ‘’Poltergeist’’ en 1982, dont l’influence de son Spielberg de producteur fût beaucoup trop présente pour qu’il puisse y apposer son style, son œuvre se mît à dégringoler dans une lente agonie. Seule ‘’The Texas Chainsaw Massacre 2’’, suite délirante de son unique chef d’œuvre, venait en 1986 faire office de bouffée d’air frais dans une filmographie des plus moribonde.
Par la suite ce ne fût plus que des séries B au mieux médiocres (‘’Spontaneous Combustion’’ en 1990), au pire du navet incroyable (‘’Crocodile’’, un dtv hallucinant datant de 2000). Œuvrant beaucoup pour la télévision à partir de 1987, c’est sur ce médium qu’il parviendra à emballer de corrects épisodes de série (‘’Amazing Stories, ‘’Freddy’s Nightmares’’, ‘’Tales From the Crypt’’, ‘’Masters of Horror’’…) impersonnels, mais lui permettant de rester présent dans le paysage.
Après une dernière réalisation en 2013, le particulièrement mauvais ‘’Djinn’’, Tobe Hooper disparaît des écrans, pour disparaître lui-même pour de bon en 2017, à l’âge de 74 ans, de causes naturelles.
Personnage sympathique, honnête et plein de bonne volonté, il laisse derrière lui une filmographie bancale, pleine de cicatrices et de bras cassés, qui ne sera certainement jamais réévaluée. Et à juste titre, puisque dans l’ensemble c’est quand même très moyen.
Pourtant, de ses réalisations se dégage en permanence une généreuse envie non feinte de bien faire. Certes cela ne suffit pas à faire naître de bons films, ça se saurait, mais ça devrait inciter à aller chercher dans sa trentaine de réalisations, pour y découvrir de potentiels petits bijoux de série B. Aussi efficaces que ce ‘’Eaten Alive’’ en 1976.
Réalisé directement dans la foulée de ‘’The Texas Chainsaw Massacre’’, il en possède le meilleur, avec son atmosphère cradingue, malsaine et glauque, héritée de la scène du diner. Sauf que cette fois, la mal aisance des plus délectable y est développée sur une heure vingt. Comme un trip malsain, visuellement agressif avec son éclairage criard, doublé d’une bande sonore bruyante, ça cri beaucoup, et jonchés de moments sanglants bien sentis.
Loin d’être un chef d’œuvre, ce métrage de Tobe Hooper reflète simplement la quintessence de son cinéma, et sa capacité à distiller une ambiance dégueulasse et nauséabonde. En pur produit du Nouvel Hollywood des seventies, le constat est qu’il ne peut exister que dans cette décennie. Un fait venant expliquer les raisons pour lesquelles Hooper n’a jamais pu retrouver ce niveau dans l’horreur. Tout simplement, son cinéma ne pouvait exister au-delà de cette temporalité.
À trop donner dans le compromis, pour livrer des productions horrifiques mainstream aux budgets décents, c’est tout ce qui fît le suc de son cinéma qui fût broyé par l’impitoyable machine hollywoodienne. ‘’Eaten Alive’’ est ainsi la preuve tangible de l’inestimable potentiel de ce modeste cinéaste, capable de livrer une film d’horreur des plus efficace avec une économie de moyen certaine. Par une mise en scène géniale, qui vient capter une folie originelle, pour en retranscrire l’horreur la plus malsaine possible. Et prend toi ça dans la gueule spectateur.
Le personnage principal du récit est Judd, le tenancier d’un motel miteux, complètement cabossé de la caboche. Incarné par un Neville Brand incroyable, possédé, comme un prolongement de Leatherface à visage découvert. Hooper utilise d’ailleurs le faciès marqué au burin de Brand pour en faire l’incarnation de la folie la plus pure. À plus d’une reprise le personnage, où l’acteur, on sait pas trop, fait froid dans le dos.
Conservateur de Droite complétement allumé, Judd déteste les prostiputes, les jeunes femmes libres (Prend toi ça dans la gueule les seventies), les familles modèles mais dysfonctionnelles (prend toi ça dans la gueule la famille américaine), et en général toute la jeunesse libertaire arrogante et imbu d’elle-même. C’est ainsi tout un prisme de la société américaine qu’il donne en pâture à son crocodile domestique. Car le passe-temps de Judd est de donner ses clients à manger au carnassier qu’il garde dans son jardin, juste derrière son établissement.
D’une sauvagerie et d’une violence jumelle à ‘’The Texas Chainsaw Massacre’’, ‘’Eaten Alive’’ est malheureusement une œuvre oubliée. Sortie dans l’ombre de son illustre prédécesseur, elle tomba inexorablement dans les limbes de la filmographie erratique de Tobe Hooper. Elle est pourtant l’occasion de recroiser des gueules du septième art, comme le génial William Finley, le (lui aussi) buriné Stuart Whitman, Maryline Burns qui après avoir échappé à la tronçonneuse de Leatherface revient pour affronter Judd, et Mel Ferrer dans un rôle des plus cocasse. Offrant l’une des scènes les plus jouissive du métrage.
Au-delà des hurlements incessants, d’un éclairage agressif, et de sa folie ambiante, il se dégage de ‘’Eaten Alive’’ un humour noir bien senti, qui fout un grand coup de faucille dans la gueule de l’American Way of Life. Défonçant au passage tout le rêve de Flower Power qui sept ans avant connaissait son apothéose. Mais en 1976, nous sommes au lendemain du Watergate, à la veille d’un retour de la religiosité d’État avec la présidence Carter et son puritanisme grandissant, marque de fabrique des eighties de Reagan à venir.
Arrivé sans doute au mauvais moment, où bien proposant un cinéma trop extrême pour avoir une chance de survie dans la décennie suivante, Tobe Hooper s’enferme par la suite dans le genre horrifique sans ampleur. Même si un film comme ‘’The Funhouse’’ en 1981 reste sympathique, on est déjà dans de l’horreur sans texture. Soit juste du divertissement efficace, mais rien de plus.
‘’Eaten Alive’’ fonctionne comme un parfait diptyque avec ‘’The Texas Chainsaw Massacre’’, et sa proposition de l’aliénation des populations rurales livrées à elles-mêmes, dans le fin fond d’une Amérique en plein déclin où l’American Dream ne se résume plus qu’à un cauchemar qui ne fait plus sens. Il est même possible de pousser le vice à évoquer un triptyque, en ajoutant ‘’The Texas Chainsaw Massacre 2’’ qui dix ans plus tard venait apporter sa pierre à l’édifice réflexif sur cette question de la folie, par le prisme des excès reaganiens.
Si Judd le tenancier semble agir gratuitement, ce qui fait peur est qu’il le fait pour des raisons qui sont propres à sa vision du monde. Discutable, bien entendu, ses agissements sont tout sauf gratuits. Il défend même plutôt des points rependus dans la société, et ce n’est finalement pas le plus marginal, au contraire. C’est sa manière de régler les choses qui est extrême, mais lui, en tant qu’individu, il incarne une Amérique conservatrice, qui 40 ans après ce film est au pouvoir.
Loin de n’être qu’un idiot film d’horreur lambda, comme le suggère son titre français : ‘’Le crocodile de la muerte’’ (la mort en espagnol), ‘’Eaten Alive’’ s’avère être un véritable produit de son temps. Une œuvre témoin de son époque, qui rappelle au passage que Tobe Hooper avait tout pour devenir un cinéaste majeur.
Mais techniquement il restera comme celui qui a pondu le film d’horreur le plus radical des seventies. Malgré ses autres trucs qui méritent d’être vu ou revu, pas forcément à la hausse, mais au moins pour rendre hommage à un type qui a toujours su faire preuve d’originalité et d’honnêteté dans ses réalisations. Même au travers de celles qui puent sévèrement des pieds.
-Stork._