- Z'avez vu ? Pas n'importe quel alligator, ça. C'est un croco. Les alligators, c'est lent, sauf dans l'eau. Un croco, c'est pas pareil. Plus rapide qu'un cheval. Oh... C'est à l'étage, montez. Il a coursé la mule d'un nègre, une fois. Ha! Ha! Même qu'il l'a coupé en deux. La tête braillait encore. La queue était restée à 50 m de là. Ha! Ha! Ha! Avec mon croco, y a pas de jaloux. Il bouffe tout ce qui passe.
Le réalisateur Tobe Hooper propose une nouvelle collaboration avec la comédienne Marilyn Burns ainsi que le coscénariste Kim Henkel, qui pour rappel, sont tous trois à l'origine d'un des films les plus révolutionnaires et cultes du monde horrifique avec "Massacre à la tronçonneuse". Une nouvelle association qui à l'époque j'imagine a du en faire saliver plus d'un, mais qui sur le résultat final s'avère être une semi-déception dans laquelle on retrouve néanmoins tout ce qui fait la force du cinéaste. Le Crocodile de la mort est un long métrage instable car incomplet, dans lequel il y a un manque de structure scénaristique, de dialogue efficace, ainsi que de teneur dans le propos visé pour en faire une oeuvre suffisamment solide. Toutefois, la proposition de Tobe Hooper s'avère être une véritable expérience psychédélique, intense et bizarre. L'étrangeté du film n'a d'égale que la folie des personnages, la musique complètement what the fuck, ainsi que les nombreux plans complètement aliénés.
L'intrigue est un pot-pourri de diverses inspirations du cinéma d'horreur avec Psychose, Massacre à la tronçonneuse, le tout tiré d'une histoire vraie : celle du tueur en série "Joe Ball", l'homme aux 6 alligators, surnommée Le Boucher d'Elmendorf. Heureusement, la forme très personnelle instaurée par Tobe Hooper écarte tout plagiat via un script qui s'avère être sans réel fil conducteur. L'ambiance du film est incroyable. L'hôtel délabré situé au fond du bayou de Louisiane offre un contraste formidable et idéal pour une histoire horrifique. Les décors entourant la vieille demeure avec les marécages poisseux, l'impénétrable brume épaisse, ou encore le jeu de lumière terne et sale qui alimente une atmosphère décidément lugubre, morbide et malsaine. La partition musicale de Wayne Bell ajoute une couche supplémentaire de malaise et de folie avec une musique qui déstabilise les sens tant elle est dérangée, instable et inapprivoisable. Une tonalité complètement barrée à l'image de l'antagoniste qui se trouve être le personnage principal : ""Judd"".
Il y a beaucoup de scènes inconfortables tant les séquences sont par moments tordus et aliénés via un travail de caméra frénétique, nerveux et envahissant qui filme au plus près les visages dégoulinants et tremblants de terreur des personnages hurlant à la mort. Des plans dingues qui rendent mal à l'aise ayant la même approche technique avec ses plans serrés et suspensif que dans Massacre à la tronçonneuse. Une approche graphique reconnaissable entre mille, véritable signature du cinéaste qui décrit comme personne la terreur et l'agonie perçut par les personnages. Des séquences marquantes pleines d'adrénalines, ou l'étrange se conjugue parfaitement à la perversité et la folie humaine. Les personnages sont excentriques et extravagants comme avec le père de famille qui pète totalement les plombs après que le chien de sa jeune fille se soit fait croquer par le crocodile, ou encore, avec la mort lente du singe qui m'a semblait être plus vrai que nature (en espérant que ce ne soit pas le cas). Des séquences folles et décalées. Du made in Tobe Hooper, bien que durant le tournage il a retiré sa casquette de réalisateur pour divergences artistiques, laissant le projet entre les mains de Mardi Rustam qui s'est retrouvé à tourner les quelques plans manquant ainsi qu'à faire le montage. Néanmoins, je pense qu'on peut affirmer que "Le crocodile de la mort" reste à 90% du made in Tobe Hooper.
Neville Brand est possessif dans le rôle de Judd, psychopathe dégénéré, qu'il incarne à la perfection. Un fou furieux instable au double visage, à la fois serviable et bourreau. C'est un maniaque obsessionnel qui assassine les clients venant dormir dans son hôtel pour les donner à manger à son crocodile d'Afrique qu'il garde dans un petit bassin clôturé collé à l'entrée de son hôtel. Vous pouvez rester dormir sans crainte dans l'hôtel de Judd si vous n'êtes pas une prostituée et que vous ne voulez pas faire de mal à son crocodile. Dans le cas contraire, Judd rentre dans une transe meurtrière sans limite, capable d'aller jusqu'à tuer une enfant, ou même violer une femme, vous poursuivant avec sa terrible faux. J'adore toute la contextualisation autour de ce personnage torturé par les affres de la guerre qui marmonne continuellement tout en errant le pas boiteux, à cause de sa jambe de bois qu'il doit à son crocodile, dans les couloirs étroits de son hôtel dans lequel résonne des musiques country. Neville Brand capture si bien la mentalité de son personnage fou qu'il en vole la vedette au crocodile qui finalement n'est que secondaire. D'ailleurs j'ai presque envie de dire qu'il vaut mieux avoir à faire au crocodile plutôt qu'à Judd. Si je trouve l'idée de l'utilisation du crocodile très intelligente car servant finalement d'arme destructrice à un psychopathe, il faut reconnaître qu'il est visuellement bâclé et affreux.
Le reste du casting est vraiment bon, chose étonnante au vu son format série B. Le long-métrage possède (en plus de Neville Brand) de bonnes performances d'acteurs à commencer par Robert England dans un de ces premiers rôles sur grand écran, qui pour les non initiés, est le comédien ayant incarné l'un des antagonistes les plus cultes de l'histoire du cinéma d'horreur : "Freddy Kruger". En tant que Buck, le comédien offre un personnage impulsif et pervers qui dès les premières images montre sa perversité en voulant sodomiser une prostituée inexpérimentée tremblante de peur devant son premier client. Le casting de soutien se débrouille également bien avec Mel Ferrer et Crystin Sinclaire, en tant que père et sœur de la pauvre prostituée incarnée par Roberta Collins. Stuart Whitman est aussi de la partie en tant que shérif Martin, protagoniste secondaire pas totalement dénué d'intérêt. Enfin, je terminerai par Marilyn Burns connu pour son rôle dans Massacre à la tronçonneuse qui s'avère proche de celui qu'elle incarne avec Faye, la mère de famille qui passera son temps à hurler à pleins poumons attaché à un lit. Le rôle de personne tyrannisé lui colle décidément efficacement à la peau.
CONCLUSION :
Tobe Hooper signe avec Le crocodile de la mort un film d'horreur étrange, incomplet et certainement pourvu de défauts, néanmoins il reste une série B intense qui décrit de manière unique la folie humaine à travers des plans psychédéliques à en faire tourner la tête via la terreur et la folie qui se dégage des personnages. Le crocodile dans la fosse de l'hôtel s'avère secondaire, le véritable monstre étant "Judd", incarné par un Neville Brand exceptionnel. La proposition si bizarre et dingue de l'oeuvre ne plaira clairement pas à tout le monde.
Déstabilisant!
- Je connais votre truc. Vous faites peur aux gens, mais dans le fond, vous êtes pas méchant. Vous cachez un coeur d'or sous vos airs de vieil ours.
- L'hôtel est complet, partez!
- Tu as pris mon fric. Je vais faire ce qu'a dit Miss Hatie et faire péter ton croco à la dynamite.