Quentin Dupieux s’est décidément spécialisé dans le sous-genre des films qui parlent de la fabrication d’autres films, ou du moins de la fabrication d’autres récits, des méta-récits en somme. Et pourtant, les projets s’enchaînent et parviennent à ne pas se ressembler tant il apparaît que le réalisateur a des choses à dire à ce sujet. Le Daim suit les aventures de George, la quarantaine bedonnante, qui plaque tout pour s’acheter un blouson 100% daim avec lequel il complote de faire disparaître les autres blousons, tous les autres blousons. L’aspect hors-temps et hors-sol de la narration la pousse vers l’abstraction (un village, quelque part en France, à une époque mal définie) mais donne aussi au projet un simulacre de vraisemblance : et s’ils y parvenaient, cet homme et son blouson, dans ce petit monde confiné, à les faire tous disparaître les autres blousons ?
Le film n’emprunte pas seulement au Western ses costumes, il en reprend également les codes. George évolue dans un univers semble-t-il sans lois, à coup sûr sans forces de l’ordre et aux conventions sociales assurément délitées. Là où le Western est habituellement un film de fondation (de valeurs, d’un état), le fait d’en nicher un dans un la vieille et douce France, entre clocher, PMU et Peugeot 205, est un geste de destruction assez violent. Et ce désert de repères va devenir le théâtre improbable d’une création artistique. Équipé d’un caméscope, George documente son entreprise aux airs progressivement criminels, produisant des rushs qui vont tomber entre les mains d’une monteuse enthousiaste, Denise. Ce projet artistique impromptu n’est pas seulement le passe-droit de George, une couverture pour les activités les plus litigieuses, il est réellement ce qui va investir de sens ce monde qui n’en a plus.
Il est sans doute vain de chercher qui, du personnage qui connaît les implications de ses actions sans les penser comme art et du personnage qui y voit de l’art sans en connaître le coût, est le prête-nom du réalisateur. Les deux incarnent une forme de lâcheté de l’artiste, dont la complémentarité n’excuse en rien les actes, et Dupieux assume pleinement cette double-identification en un charmant geste d’autodérision. Veules, sournois, méthodiques, schizophrènes et passionnés, il est agréable de voir la légèreté avec laquelle ces personnages insufflent une direction à un monde devenu absurde, pour la simple raison que l’art permet cela.