Que se passerait-il si les humains étaient soudainement rejetés par la planète qui les a vu naître ? Si la Terre, pour ainsi dire, devenait inhabitable ? Impossible ! nous dit La Guerre des mondes de Spielberg, ce sont plutôt les envahisseurs qui seront anéantis par les lois de la sélection naturelle. L’humain, cette espèce élue par des siècles de contrôle qualité darwiniens, ne risque rien. Le Safe de Todd Haynes n’en est pas si sûr.


Carol est femme au foyer. Mais ce foyer ne semble pas être le sien tant elle le traverse comme un spectre vagabond. Seule chez elle, elle alterne subrepticement entre le dedans et le dehors du cadre, ignorée par une caméra qui a plus tôt jeté son dévolu sur les lignes épurées d’un intérieur moderne. La présence de Julianne Moore, qui campe ce personnage avec une inquiétante intensité, est une absence. Elle peine à se faire entendre par sa femme de ménage, peine à se faire comprendre par ses amis, peine à prendre du plaisir avec son mari et peine franchement à susciter l’empathie même du spectateur.


Cette étrangère parmi les humains tombe alors malade, aux prises d’un mal qui la rend allergique à tout ce qui l’entoure : le parfum de son mari, l’air de la ville, la fibre de son pull. Mettant cela d’abord sur le compte de l’hystérie, le personnel médical finit par baptiser euphémistiquement ce trouble de « maladie environnementale ». Exclue d’une société qui refuse de comprendre ses maux, Carol part rejoindre un groupe d’individus qui semblent souffrir du même syndrome. La réalisation de Todd Haynes passe alors d’un réalisme froid à une sorte de diffraction de celui-ci en une dystopie terrifiante : vivant totalement isolés, ces individus en viennent à suivre les fausses prophéties d’un gourou escroc, sans autre horizon que la réclusion complète et la quête d’une vie entièrement aseptisée.


Ce que raconte en fait le film, c’est la rupture des noces millénaires de l’humain et de sa planète, l’éventualité d’une symbiose devenue impossible. C’est en cela que Safe est une fable écologique, narrant la fin de la vie sur Terre non à travers une catastrophe apocalyptique mais une dissipation à petit feu de notre droit d’y séjourner. Si le film nous touche c’est par la précision du vertige suscité par la transfiguration d’un espace connu en territoire hostile. Si le film nous bouleverse c’est parce que, ce faisant, il célèbre en creux le contrat tacite et encore réel de l’homme et de la planète. C’est en se rendant compte de la fragilité de celui-ci que le combat pour le sauver prend forme.

lionelgj
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le 19 oct. 2021

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