Le Dernier des hommes par Friedrich Wilhelm Murnau, sorti en 1924, est emblématique de la capacité d’innovation du réalisateur allemand. Murnau parvient dans ce film à faire “entendre” le cinéma muet. Alors qu’un seul intertitre est utilisé pour l’ensemble de l’œuvre, l’excellence du jeu des acteurs (notamment un très expressif Emil Jannings) permet au spectateur de comprendre parfaitement l’histoire. Le talent de Murnau est mis en lumière par les différents procédés qu’il utilise pour créer du mouvement dans son film. La caméra déchaînée (Entfesselte Kamera), procédé inventé par Karl Freund (directeur de la photographie du film) et utilisé pour la première fois dans : Le Dernier des hommes, constitue une innovation technique majeure pour le cinéma du XXᵉ siècle. Cette innovation, considérée comme l’ancêtre du steadicam, offre à Murnau plus de mobilité et de liberté dans ses mouvements de caméra. En effet, à cette époque, la caméra était souvent très fixe en raison de son poids. Avec ce changement, le réalisateur disposait d’une caméra plus légère et maniable. Ce film, profondément humaniste, dévoile les nombreux travers d’une société allemande alors en pleine période d’hyperinflation. La noirceur de l’œuvre peut s’expliquer par ce contexte historique. Le personnage principal, le portier (interprété par Emil Jannings), perd au cours du film son travail et son statut social. Il aurait fini dans la solitude et la pauvreté si le studio UFA n’avait pas contraint Murnau à ajouter un épilogue avec une fin heureuse. Ce long métrage, situé au carrefour entre le réalisme et l’expressionnisme, comme le dira Jacques Lourcelles, était véritablement en avance sur son temps. Il a inspiré de nombreux réalisateurs, notamment Orson Welles pour son iconique Citizen Kane (1941). On peut également imaginer qu’Alfred Hitchcock, qui était présent lors du tournage alors qu’il travaillait dans les studios Babelsberg, a pu s’en inspirer. Enfin, il est important de noter que plusieurs musiques ont été composées pour ce film (au moins quatre versions : 1924, 2002, 2003 et 2017). Selon la musique choisie, l’expérience cinématographique diffère inévitablement.