Le talentueux M. Ridley

J’attendais beaucoup de THE LAST DUEL et il a pourtant surpassé mes attentes. Film de justice déguisé en film historique, sous-genre typiquement américain, Ridley Scott continue de creuser dans les tréfonds de l’âme humaine, dans une veine toujours plus nihiliste suite au suicide de son frère.
Nous sommes les héros de nos propres vies, tous exécrables, tous aveugles sur notre propre médiocrité, préférant se donner le beau rôle et se pardonnant facilement les écarts que nous n'accepterions pas des autres. Film de monteur (c’est la monteuse de Oliver Stone, Claire Simpson, qui est sur le projet) car film de point de vue, le pas de côté effectué à chaque chapitre réussit avec subtilité à nous faire épouser le point de vue du protagoniste en question.
Le casting parfait (Damon avec sa coupe mulet et son collier de barbe en chevalier bourru mais bourrin bardé de principes, Driver en éphèbe prédateur qui s’ignore, Comer en femme bafouée plus digne que les hommes « d’honneur » auquel le elle est soumise) parachève cet effort. En bonne partie car les 3 parties sont écrites par 3 personnes : celle de Damon par lui-même, celle de Driver par Affleck qui y joue un rôle central (parfait en comte d’Alençon ploutocrate lubrique), celle de Comer, par Holofcener, qui apporte un point de vue féminin nécessaire. Qu'on ne s'y trompe pas : c'est bien la masculinité toxique qui empoisonne la société (déjà) de l'époque, où des enjeux vitaux sont joués à coups de concours de la plus grosse, où les femmes sont réduites à des propriétés, où même le plus valeureux ne part pas tant à la quête de gloire que d'argent, et d'affirmation de sa libre possession.

Scott est bien moins intéressé par la valorisation des exploits martiaux que par la démonstration que notre ego dévore tout, qu’il n’y a pas de force supérieure mais l’entropie qui nous pousse vers la plus mauvaise version de nous-mêmes. En plus d’un sens du cadre plus affûté que jamais, qui nous offre certains des plus beaux plans d’une carrière inégalée. Ceci a quelques jours de lancer son autre film qui a l’air au moins aussi incroyable, The House of Gucci. « Ridley reconnaîtra les siens. » disais-je sur ma critique de Covenant, aujourd'hui plus que jamais.