Mais quel était donc l'envie de Ridley Scott ?

La question du point de vue au cinéma a été maintes fois traitée, notamment par Akira KUROSAWA et son chef d'oeuvre Rashômon (1950), c'est évidemment à cette référence que l'on pense lorsque l'on regarde ce dernier duel signé Ridley Scott. Son découpage en trois parties, chacune présentant les événements selon le point de vue d'un personnage, mais là où le maître japonais avait la courtoisie de laisser au spectateur toute la latitude de se faire sa propre opinion, Scott commet une première erreur en nous disant quelle est la vérité, dès lors l'intérêt de ce découpage vole en éclat et sonne comme une répétition inutile des mêmes faits et enjeux, d'autant plus que dans la réalité on ne sait pas ce qu'il s'est vraiment passé.


Autre erreur qui pour moi montre que Scott n'a pas bien compris ni son sujet, ni l'époque qu'il filme, les anachronismes. J'entend l'argument du féminisme et de la condition des femmes et venant du réalisateur d'un des films les plus féministes de l'histoire, j'ai nommé Thelma et Louise (1991), cela fait sens, mais transposer cette idéologie au bas moyen-âge va forcément conduire à un énorme anachronisme, ce n'était ni l'époque, ni le contexte, ni même les mentalités, d'ailleurs une réplique le montre bien quand on dit à Dame Marguerite que si il y a procès c'est pour l'honneur de son mari ou que ce dernier doit lui donner son aval pour entreprendre ce même procès. Ainsi le film a le cul entre deux chaises, d'un côté ces libertés avec la réalité historique de l'autre l'envie manifeste de rendre un film se voulant aux plus proches des faits narrés. Résultat l'ensemble devient bancal et à aucun moment je ne me sens concerné, ni ne rentre en empathie avec les personnages.


Les personnages son assez bien traités, là encore si l'on fait fi soucis déjà mentionnés. Jean de Carrouges, est un possédant dont l'unique motivation est sa propre gloire, un matérialiste qui n'a que peu de considérations pour les autres et notamment les siens, un personnage qui se révélera plutôt antipathique, incarné par un Matt DAMON dont le jeu volontairement retenu, j'avais utilisé de la métaphore du joueur de fond de cour en tennis pour décrire son jeu dans une autre critique, sied parfaitement je trouve à l'idée que l'on peut se faire d'un tel homme à une telle époque.


L'excellent Adam DRIVER, une fois de plus pourra t'on noter, incarne lui l'antagoniste Jacques Le Gris, écuyer charmant et charmeur, profiteur et jouisseur, à un tel point que pour lui le consentement féminin est de facto acquis et que la notion de viol n'existe pas. Ceci révèle une nouvelle erreur de direction et de scénario, le fait de filmer de la même façon, avec la même intensité, la même photographie, le même dispositif la scène de viol et le "devoir conjugal" pose problème, car dès lors quel crédit apporter aux déclaration de Dame Marguerite ? Scott une fois de plus semble ne pas avoir compris son sujet.


Quant à cette dernière, si derrière l'excellence du jeu de Jodie COMER, on trouve une femme finalement assez forte, il y a encore autour d'elle des fautes historiques qui décidemment me sortent trop du film.


La mise en scène en elle-même est brillante, le spectacle d'ensemble plutôt réussi sur le plan formel, la photographie se tient, même si la Normandie n'est pas au-dessus de cercle polaire, mais on dira que c'était pour faire moyenâgeux selon Hollywood, cette époque trouble et barbare quelque part entre Le Nom de la Rose (1986) et le post apocalyptique, il y a un bel effort de direction artistique, mais pour moi c'est un petit Ridley SCOTT qui ne parvient jamais à totalement traiter les différents axes de narration qu'il ouvre, qui s'embourbe dans une vision trop contemporaine dans un film qui se veut historique et il est toujours très risqué de transposer des questions modernes à des époques aussi éloignées à moins de prendre le partie net de tout romancer et pas de s'attacher à coller à une réalité historique.


Dommage j'avais envie d'aimer ce film.

Créée

le 29 juil. 2022

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