Voilà un très beau film qui retrace un parcours individuel tout en évoquant, sans forcément toujours les approfondir, quelques épisodes importants de l'histoire de la Chine au XXème siècle. C'est d'abord et avant tout l'histoire d'un homme, Puyi, sacré empereur à trois ans en 1908, destitué à six puis enfermé dans la cité interdite jusqu'à en être expulsé en 1924, date à laquelle il parvient à Tianjin où il va résider jusqu'à ce qu'il soit mis à la tête du Mandchoukouo par les Japonais, avant d'être arrêté par les Soviétiques puis « rééduqué » par les Chinois dans un camp après la victoire de Mao en 1949. Il est ensuite amnistié par le grand timonier dix ans plus tard ce qui lui permet de terminer tranquillement sa vie jusqu'à sa mort en 1967.

Le Dernier empereur de Bertolucci raconte ainsi l'histoire d'un enfant puis d'un homme confronté au cours tumultueux de l'Histoire et au poids de ce qu'il représente et de ce qu'il aurait pu être. C'est d'abord un enfant vénéré par tous, qui doit comprendre et accepter que tout le cérémonial qui est maintenu est vain car il ne sera pas le personnage auquel on l'avait prédestiné et préparé. Il doit garder sa dignité, continuer à être adulé comme un dieu tout en se rendant compte que tout ça est complètement factice puisqu'il n'est plus et ne redeviendra sans doute pas l'empereur qu'il devait être.

Bertolucci nous relate donc le drame d'un homme confronté à l'impossibilité d'être ce qu'il est, un homme très entouré mais profondément seul, face à son tragique destin. Un homme qui se fait obéir au doigt et à l'œil par ses serviteurs, mais dont la vie est régie par un protocole très strict qui le contraint (ex : il est violemment séparé de sa mère puis de sa nourrice, on arrange son mariage) et qui n'a pas le droit de sortir de la cité interdite jusqu'en 1924, même pour la mort de sa mère... Son drame est qu'il a tout sans rien avoir : tout le confort mais pas de liberté et finalement bien peu de pouvoir malgré ses efforts. Pour redevenir empereur, et même si ce n'était qu'une illusion, il finira même par renier sa volonté de défendre la Chine en acceptant d'être un empereur fantoche au service des Japonais dans le Mandchoukouo.

Même si l'on peut être touché par ce destin tragique, Puyi nous est quand même présenté comme un être peu sympathique : depuis l'enfance, il est froid, dur, peu sensible et intéressé uniquement par la restauration de son statut. Sa relation avec un précepteur écossais incarné par Peter O'Toole est intéressante bien qu'elle soit présentée de façon trop superficielle et théâtrale, ce qu'on peut regretter. Surtout, Puyi semble avoir évolué à la fin de sa vie, il semble avoir accepté l'idée qu'il ne serait plus jamais empereur, et il nous deviendrait presque sympathique un peu comme si les communistes avaient réussi à le remodeler, ce qui semble peu probable, cette conversion, ou plutôt cette transformation du personnage étant trop rapide dans le film pour être réellement convaincante. De la même façon, l'évolution de l'attitude du chef camp de rééducation à l'égard de Puyi est peut-être un poil caricaturale.

Je ne suis pas expert de l'histoire de la Chine, et encore moins de Puyi dont je ne connaissais rien avant ce film. Je ne suis donc pas vraiment capable de dire si Bertolucci a été fidèle à ce qui s'est produit et quelle a été la part de réécriture de l'histoire, mais force est de constater qu'on a au final un très beau film, et ce dès les premières images lorsque le mouvement du train contraste joliment avec la rigidité des soldats.

Esthétiquement c'est en effet très beau, notamment tous les passages filmés dans la cité interdite (rien que pour ça le film mérite d'être vu), avec une restitution époustouflante du faste et du cérémonial de la cour impériale. A noter l'utilisation impressionnante des travellings et autres mouvements de caméras qui confèrent à ce film une dimension grandiose. Il y a aussi un gros travail sur le plan de la lumière (le rouge de la cité interdite contrastant notamment avec le gris du camp de rééducation), sur les décors et les vêtements, somptueux. On peut discuter du contenu du film et d'un certain nombre de choix, mais il me semble que visuellement, on ne peut qu'être émerveillé par ce film.

Pour le reste, on notera aussi de beaux effets sonores et une superbe musique, composée par moment avec des instruments de musique traditionnels. Et les acteurs aussi sont impeccables, notamment John Lone qui interprète Puyi.

Bref, on a là un très beau film qui évoque superbement le destin d'un homme mais aussi les remous de l'histoire d'un pays, et notamment la question des relations sino-japonaises ou la période maoïste avec le camp de rééducation et la propagande qui se met en place, ainsi qu'avec l'épisode de la révolution culturelle qui est évoqué à la fin. Un film qui mérite assurément d'être vu.
socrate
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le 8 mai 2012

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