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Le Dernier Empereur a profité d’une fenêtre de tir très réduite pour être tourné: la Chine venait d’ouvrir ses portes à l’étranger, et les fermera à nouveau deux ans après la sortie en salle du film. Une fenêtre dans laquelle s’est engouffré Bernardo Bertolucci qui voulait faire de l’orient son prochain projet cinématographique, et qui obtint l’autorisation de poser ses caméras au cœur de la Cité Interdite pour capturer des images jusqu’alors jamais vues en occident. Des images faites de décors majestueux, de figurants par milliers, et de costumes d’une authenticité rare, mais toujours captées à hauteur d’enfant.


En effet, l’histoire sur laquelle le réalisateur italien jeta son dévolu est directement tirée de l’autobiographie du dernier empereur de chine, Puyi, un personnage secondaire dans l’Histoire tant le rôle symbolique qu’il tenait ne lui procurait aucune sorte d’importance dans un pays en pleine révolution.

“Ma vision du film, c’est l’histoire d’un homme qui, à l'âge de trois ans, est condamné par l’Histoire à devenir un malade omnipotent, et qui, pendant toute une vie, essaye de répéter ce premier couronnement. Il arrive à le faire, mais à chaque fois, il doit payer le prix de sa liberté. A la fin de sa vie, il guérit de cette névrose” livrera Bertolucci aux Cahiers du Cinéma.

L’intention est claire, et délivrée avec succès auprès du spectateur. Le récit commence donc avec le couronnement d’un Puyi bambin, et passe deux décennies dans l’enceinte des murs de la citadelle, alors que le pays est en tumulte en hors-champ, seulement perceptible par le vacarme des manifestations et autres fusillades.


Puyi est enfermé dans une prison dorée, et complètement déconnecté de la réalité qui l’entoure. Son seul contact avec l’extérieur se fera par le biais de son précepteur britannique, ironiquement interprété par Peter “Lawrence d’Arabie” O’Toole qui livrait déjà la “sagesse” de la couronne aux bédouins dans le chef d'œuvre de David Lean. Et quand enfin il est expulsé de sa geôle, il part effrayé dans un monde qu’il a tant convoité. Un monde où il est relégué au rang de simple jet setteur, avant de regagner un pouvoir en toc en tant qu’empereur de l'État fantoche de Manchukuo. De la splendeur du palais pékinois à l’industriel cour factice. D’un statut illusoire à un autre, avec comme seul changement le marionnettiste aux commandes.


Puis viennent la fin de la guerre et les camps de rééducation maoïstes. Il est l’heure pour Puyi de s’effacer pour devenir lui aussi un anonyme, exemple du succès d’un modèle en plein développement, symbole de la perte de l’individualité au profit de la masse. Une vision particulièrement étrange pour le spectateur occidental, habitué à voir des histoires d’ascension individuelles, mais qui fonctionne ici parfaitement.


Le Dernier Empereur pourrait être une oeuvre majeure, s’il n’avait pas pour défaut de suivre une trajectoire redondante. Il pêche de la structure même de son histoire, naturellement redondante. Parallèlement, toutes les cartouches du spectaculaire sont grillées dans sa première moitié, le faste des premières décennies laissant place à un drame de chambre logiquement pâle en comparaison. Et c’est donc dans cette seconde partie que l’on décrochera un peu, surtout au vu de la longueur de l'œuvre. Il est également dommageable au film d’avoir été tourné en anglais, pour des raisons commerciales totalement compréhensibles, tant cela fait tâche avec le caractère authentique et documenté du reste de la production.


Le film de Bertolucci est bon, splendide même, mais peine à se maintenir sur la durée. Il n’en reste pas moins un ouvrage sensible, beau et ouvrant les portes d’une Chine jusqu’alors fantasmée.



Bonus:

Journal de tournage de Pierre Edelman - 60 minutes

Le journaliste de Libération avait été invité sur le tournage dans la Cité Interdite, et ce qui devait être un simple travail de documentation pour son papelard se transforma en véritable making-of lorsque les équipes de production réalisèrent que les envoyés du gouvernement chinois initialement en charge de chroniquer le tournage ne livraient que des fragments d’images inutilisables. Edelman resta donc plus d’un mois sur place, filmant la vie sur les plateaux. Des moments de détente entre les techniciens et les acteurs à l’interprète du Puyi marmot jouant avec des objectifs, à l’arrivée de Sakamoto sur le tournage en passant par les différentes prises de scènes, le documentaire, monté pour la première fois en 2022, est une véritable plongée dans les coulisses d’un film singulier. Prenant.

Créée

le 22 mars 2024

Critique lue 9 fois

Frakkazak

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