Le Dernier Nabab
6.9
Le Dernier Nabab

Film de Elia Kazan (1976)

De toute manière, qu'on le veuille ou non, on est obligé de voir le dernier film d'Elia Kazan, adapté d'un roman inachevé de F. Scott Fitzgerald, écrit par un Prix Nobel Harold Pinter, mis en musique par Maurice Jarre, le chouchou oscarisé de David Lean, monté par Richard Marks, qui travaillera avec Francis Ford Coppola, et joué par de Niro, Mitchum, Moreau et Nicholson. Cette oeuvre est immense rien que par ces noms et par son intérêt cinématographique (que se passe-t-il quand un cinéaste mythique achève un roman mythique ?). C'est sans aucun doute la seule curiosité intellectuelle de l'année. Le film est à retenir pour se remémorer l'histoire d'Hollywood: il signe la fin (et la "retraite" d'un de ses principaux acteurs) d'une période, s'effaçant devant un nouveau système financier ainsi que de nouveaux réalisateurs (le premier blockbuster Jaws, de Spielberg, sortait l'année d'avant). Le film est teinté d'une immense nostalgie, incarnée par des décors vides et par le silence de Monroe Stahr, génie réduit au silence. De toute façon le système était déjà corrompu au départ: les films ne sont pas des oeuvres originales et personnelles, on y remplace les réalisateurs d'un claquement de doigts, on cède aux caprices de stars toutes puissantes, on produit des films dits "rentables" pour ne laisser aucune chance au risque de la qualité et du nouveau, les scénaristes sont poussés à la folie et les producteurs ont le dernier mot. Les meilleurs films tirés de ce système absurde sont parodiés (Casablanca), et la vacuité de l'entreprise cinématographique telle qu'elle est exhibée par Kazan ne peut qu'être comparée à Chinatown, également le dernier film Hollywoodien de Polanski, utilisant les mêmes acteurs et la même mélancolie. La fin du film est (hélas ?) très Nouvelle Vague, par les regards caméra, le jump cut effréné et le dévoilement de la theatricality du film. Une vision sûrement pessimiste, doublée par une fin âpre et amère, mais qui célèbre en contrepartie le pouvoir infini de l'imagination et du cinéma. La difficulté d'achever (ou de parachever) le roman de Fitzgerald à l'écran trouve tout son sens dans ce format: ce n'est le travail de personne, et vu le statut artistique du réalisateur à Hollywood ce n'est pas son problème non plus, sinon du spectateur de poursuivre l'histoire qui s'est déployée sous ses yeux.
Lear_Yorick
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le 1 juin 2014

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