Douze pubs et un homme cuit.
Je suis mitigé sur ce film. Déjà, le voir au cinéma en VO fut une gageure. Une fois la séance obtenue, nous partîmes. Mais nous ratâmes, mes amis et moi, les premières secondes du film à cause des intempéries.
Et maintenant, fi du passé simple, c'était pour se mettre en jambes.
La construction du film est plutôt réussie, la première partie, que je trouve la meilleure, nous emmène dans l'Angleterre typique vue par Edgar Wright, qui a un don pour ça : on retrouve dans dans le prologue un village banal de la campagne, perdu et truffé de pubs. Puis la grisaille de la grande ville, comme dans le prologue d'Hot Fuzz. Il s'agit d'un retour dans ce village, programmé par un Simon Pegg absolument sidérant en sosie anglais de mon papa (si si, même goûts musicaux, mêmes cheveux, même dégaine, tout, mon papa j'vous dit) pour boucler un barathon inachevé 20 ans plus tôt. Sauf que tout le monde a changé, sauf lui.
C'est le point fort du discours du film : le travail du temps, inexorable, impitoyable, et l'espoir d'une nostalgie retrouvée : Pegg est resté gamin toute sa vie, il en a payé physiquement le prix (émouvante scène vers la fin qui dévoile un élément intéressant à ce sujet), mais s'accroche désespérément à ses rêves. Les 4 autres sont devenus des anglais typiques, façon vision de cauchemar à la Terry Gillam : le riche comptable, l'entrepreneur, le bâtisseur, etc. On prend donc du plaisir à suivre les pérégrinations farfelues et l'argumentaire extravagant de Pegg pour réunir tout ce beau monde, et on décolle. Premier moment de doute : comment tenir un film entier sur une bande de potes encroûtés qui reprennent la débauche de boisson pour un soir ? Comment Wright peut-il gérer ce qui s'annonce comme un remake anglais de Very Bad Trip ?
Les premières séquences du barathon sont convaincantes : atmosphère étrange dans le village, passants apathiques, décor suspect. On ne se doute de rien ou presque mais on sent quelque chose de poisseux. Sur le coup je pensais vraiment que le film peinait à démarrer mais en fait le scénario explique astucieusement cette atmosphère, et ce rapidement. Les premiers bars sont franchisés, impersonnels, identiques, sans âme : force du constat, le temps détruit tout, ou plutôt aplanit tout. Jusque là tout va bien, on devine le potentiel de rébellion qui sommeille dans les limbes du scénario à venir.
Et puis patatras! au détour d'un mens' room, un ado patibulaire se fait décapiter et dévoile des entrailles d'encre bleue. Des robots. Des motherfucking robots. Sur le coup je panique :
* la mise en scène devient subitement ultra clipesque, mais pas aussi plaisante que dans Scott Pilgrim.
* les effets spéciaux sont sidérants et voir des humanoïdes démembres continuer de s'agiter en vain me fout grave les boules, je commence même à me sentir très mal à l'aise
* WTF IS GOING ON ?
Bref, le film prend un virage en angle droit et s'engage dans un survival étrange au milieu d'une population de droïdes hostiles. Sauf que Wright est malin, il parsème son parcours d'embûches comiques : quel est le statut des ennemis, comment les nommer, et surtout, comment finir le barathon ? Dans le joyeux bordel qui s'amorce, sorte de synthèse foutraque entre le gunfight désopilant de Hot Fuzz, les hordes de zombies et les pubs de Shaun of the Dead et le délire technologique deScott Pilgrim, les dialogues brillants font mouche et le scénario esquisse une réflexion ambiguë, un poil réactionnaire sur les dangers du progrès et de l'uniformisation. Un second degré jusqu'au boutiste sauve heureusement le film du pensum idiot lors d'une scène ahurissante qui donne son nom au film. Pegg, acharné et ivre mort, met ainsi en déroute l'ennemi pour de bon et sauve la Terre au moins autant qu'il la détruit. On prend alors toute la mesure métaphorique du récit, qui fonctionne simplement comme un conte un peu barré, truffé de symboles rigolos : le nom des pubs, de la voiture, la construction du récit avec ses étapes et ses nombreux retournements.
Un excellent divertissement mais dans lequel je ne peux m'empêcher de me sentir frustré, comme si par moments le message du film s'imprimait trop fortement à l'écran, ruinant une partie du plaisir provoqué par le jeu de massacre. Et j'avoue ma gêne immense devant les scènes de combats, gêne que je ne saurai exactement qualifier et définir.