Une appellation persiste pour les réals en fin de carrière, désignant malgré eux la tendance de ces metteurs en scène à voir leurs œuvres se dégrader, en terme de qualité, autant dans une comparaison avec leur filmographie respective que par rapport à la production filmique contemporaine. Ainsi sont nommés : « le cinéma de vieux monsieur » par certains pour désigner ces œuvres dépassées par la production actuelle voire leurs propres idées. D’une certaine manière, c’est un peu dans quoi semblait s’être embourbé le pourtant grand Costa-Gavras, metteur en scène grec, auréolé d’une palme d’or, réalisateur de certains grands cultes du 7e art (comme Z ou L’Aveu) avait pourtant essuyé plusieurs bas dans sa carrière post-2000, avec en particulier Le Capitale. Une baisse d’estime du public comme de la critique qui a cependant retrouvé espoir en 2019 avec l’arrivée d’Adults in the room, son premier film par ailleurs tourné en grec et autour d’un sujet local ô combien sensible. Il faudra encore attendre plus de 5 ans pour la sortie de son nouveau film, Le Dernier Souffle, qu’on pourrait introduire comme un film plus en marge de sa filmographie, et presque testamentaire, puisque racontant le quotidien d’un médecin en soins palliatifs et son dialogue avec un philosophe, empreint de grandes angoisses autour de la mort, où comme on préférera l’appeler ici, la fin de vie. Pourtant, contrairement aux apparences, Le dernier souffle n’est ni un film testament, ni une rupture dans la filmographie engagée et politique de Costa-Gavras, malgré son thème s’en est au contraire un renouveau, et une œuvre d’après moi loin de signifier une carrière en déclin.
.
.
Mes critiques et avis désormais disponibles sur ce site en lien, allez-y (svp), je vais sûrement aussi poster pas mal de dossiers complémentaires, interviews ou actualité. Voilà.
.
.
Cela n’en reste en tout cas pas moins un hasard qu’un réalisateur ayant tout juste soufflé ses 92 bougies décide de s’intéresser à un tel thème, se confronter de près à l’inévitable pour nous mortels, surtout vu à quel point cette fin de vie se rapproche inexorablement, pour lui, comme de nombreux autres grands metteurs en scènes tels qu’Eastwood ou Scorsese. Ces géants du cinéma ont déjà offert une œuvre plus ou moins crépusculaire, abordant de manière plus ou moins subtile cette idée de passer l’arme à gauche, pourtant, ce qui marque dans Le Dernier souffle, c’est qu’au-delà d’être thématiquement plus frontale, le film se veut aussi bien plus philosophique que parabolique ou même métaphorique. C’est en partie ce qui fait par ailleurs autant la force que l’intérêt du film, sa manière de se plonger sans la moindre concession dans le quotidien de personnes et leurs familles confrontés à ce phénomène universel, la perte de soi comme de l’être cher. Et là où on voit qu’on est chez Gavras, c’est dans deux choses, tout d’abord sa manière de se concentrer sur ses personnages (ce sur quoi je reviendrai plus tard) mais aussi de questionner l’institution qu’il filme, de l’affilier à un propos social et surtout politique. Ce dernier étant que la fin de vie est un moment important, qu’on peut tous craindre, faisant suite à une vie plus ou moins remplie, gaie ou au contraire morne, elle doit être respectée. C’est ce que va tartiner Gavras sur l’entièreté de son projet, et c’est une des raisons pour laquelle comme à son habitude, la mise en scène reste d’une certaine manière en retrait. Qu’on se le dise, Costa-Gavras est un grand réalisateur, mais loin d’être le plus sophistiqué, il préfère la simplicité et subtilité dans une approche au final assez classiciste, où l’image en tant que telle n’est pas tant ce qui est intéressant que sa manière de participer à délivrer un propos. Le montage comme la mise en scène sont simples, vont à l’essentiel mais captent tout le long une vraie limpidité dans les actions des personnages et des événements qui composent le métrage ; tout en traduisant le sentiment d’espoir voire d’optimisme traversant l’œuvre. Bien que le film reste techniquement un peu quelconque, notamment avec sa photographie qu’on dirait passée à la javel, elle reste constamment à propos dans sa manière d’offrir au film un regard presque insouciant sur son thème pourtant fort, traité avec autant de gravité que de légèreté. Car si Le Dernier souffle n’épargne pas son spectateur, et par extension, ses personnages, il propose malgré tout un regard engagé vers la vitalité, un peu comme dans une comptine référée au sein du film « deux escargots s’en vont à l’enterrement d’une feuille morte » (aussi animée par Jeunet, allez-voir ça si c’est pas charmant). Comme dans les paroles de Jacques Prévert, Costa-Gavras force ses personnages à éviter le deuil, et la combativité de la mort, finit par passer, de part son inéluctabilité, par son acception, du mourant comme des autres pour profiter même des derniers instants ; autant dans une vision comique comme avec une fan d’huîtres que le désespoir totale d’une jeune adulte. Dans les deux cas, Le Dernier Souffle met un point d’honneur à leur offrir un cadre sincère (et donc aussi franc) mais chaleureux, autant par la présence de la famille que des médecins. Le metteur en scène va en tout cas mettre en pratique son propos, mais loin de vouloir être candide, Le Dernier Souffle respire malgré tout l’authenticité dans les situations qu’il propose, en offrant au spectateur un panel de scènes montrant justement toutes les facettes que convoque cette finalité à la vie, de manière frontale, mais avec un esprit lui plus désinvolte bien que constamment engagé. Son réalisateur quand à lui préfère faire comme son protagoniste, observer, et il enjoint ses spectateurs, par la simplicité de sa mise en scène, à faire de même, jusque dans son épilogue où le protagoniste est cette-fois lui-même confronté à ce qu’il redoutait jusqu’alors.
.
.
.
.
.
Derrière ce côté simpliste voire académique se cache donc en réalité le cœur et surtout grandeur du Dernier Souffle, à savoir sa narration. J’ai tardé à m’en rendre compte mais celle-ci ne suit pas à proprement parler des codes d’écriture tout à fait classiques, à l’inverse de la mise en scène, cette dernière s’apparentant même par moments à celle d’un film choral ou à sketch, en prenant le temps de non pas délivrer une intrigue mais de s’intéresser le plus possible aux personnages constituant ce centre de soins palliatifs. Si le film met un point d’honneur à présenter la quasi psychose de Fabrice Toussaint (interprété par Denis Podalydès) face au calme et la quasi sérénité dont fait preuve Augustin Masset (joué quand à lui par Kad Merad), le réalisateur contextualise, puis analyse et développe sur un temps jamais définit mais qu’on sent long l’amitié et surtout le dialogue entre ces deux spécialistes, l’un en philosophie, l’autre en médecine ; tous deux sur la condition et psychologie humaine face à la mort, dans les derniers instants de vie avant la fin. Mais ce débat philosophique n’est rien de plus qu’un fil rouge si on y regarde bien, car encore une fois, l’intérêt principal du long-métrage réside dans les rencontres et récits de patients qui ont par leur histoire formé le personnage de Kad Merad ; ce qu’il transmet à Denis Pdalydès, incarnant plus ou moins le point de vue des spectateurs dans sa découverte du monde des soins palliatifs. L’approche est donc originale, même assez perturbante, mais aussi très stimulante d’une certaine manière, car comme dans un film à sketch, on retrouve différentes histoires s’imbriquant en une seule, et ces scénettes, plus ou moins anodines sont la construction même de la pensée philosophique du long-métrage et in extenso des personnages. Le film se permet, dès lors, de s’intéresser à ses mourants, en appliquant le propos politique de Costa-Gavras qui s’attache à l’histoire de ces gens au sein du centre : dans quelle situation elles arrivent, à cause de quel mal (maladie, vieillesse, dérèglement neurologique,…) quoiqu’il en soit le long-métrage ne juge personne, il conte l’histoire de chacun avec la même dignité. C’est aussi de là que se revêt l’authenticité du long-métrage, car il arrive à ne pas être constamment plombant ou feel-good, chaque rencontre laisse place à son lot de contrastes, incarnées à merveille par les nombreux comédiens du film, qui arrivent à faire passer une émotion incroyablement pure, qui capte la réalité des situations. Les événements quasi miraculeux, ceux de voir un patient décéder « au bon moment » semblent alors prendre sens au vu de l’humanité qu’entretient constamment le réalisateur. Il se permet de mettre en pratique l’idée d’une médecine plus humaine, accompagnant plus que palliant les souffrances de l’individu, jusqu’à sembler en voir certains choisir leur décès ; si le film n’aborde que discrètement l’euthanasie dans une des dernières scénettes, il en parle comme pour le reste, d’une alternative et option qui amène quoiqu’il en soit à une mort « bien vécue ». Le film en devient assez fascinant de cohérence, quand bien même il faut avouer qu’il souffre de la problématique n°1 des films choral/sketch, à savoir l’inégalité des segments et histoires, qui peuvent un temps au mieux déboussoler, mais aussi parfois carrément saouler les moins investis tant certains arcs peuvent paraître répétitif dans la forme. Pourtant c’est d’une certaine manière ce qui fait selon moi toute la beauté émotionnelle du Dernier souffle, sa capacité à entretenir le portrait d’une institution et du concept de fin de vie, au gré d’échanges bavards mais pour ma part forts, car ne cherchant non pas le didactisme mais l’humanisme. Ce qui rend d’autant plus frustrant ces scènes en dehors de cet institut palliatif, bien moins prenantes et intéressantes, bien que permettant de toujours plus développer les personnages, l’amour que leur porte Costa-Gavras et le propos politique du long-métrage, se densifiant au fur et à mesure des échanges et expériences.
.
.
.
.
.
.
Si Costa-Gavras traite des thématiques de son âge, il le fait avec une sensibilité tout à fait salvatrice et qui rappelle les fondements de son cinéma : à la fois politique dans son fond social mais centré sur les personnes qui font vivre l’institution qu’il filme. Il capte l’authenticité des situations et comédiens, et offre une œuvre à la fois tendre mais aussi tragique, bien que traité avec une luminosité singulière qui apporte une vraie cohérence au propos du metteur en scène, ne se détournant jamais de l'humanité des personnages quitte à rendre son récit par instants frustrant.