Film controversé, objet de scandale et soumis à de multiples interdictions et procès, pour son érotisme cru voire bestial (dont la fameuse scène du beurre), et sa vision de la femme soumise aux exigences sexuelles d'un homme au comportement ouvertement machiste, le Dernier tango à Paris fut malgré tout ça un triomphal succès populaire. En fait, il a été réduit surtout à un sujet de scandale par une succession d'éléments : le fait qu'il se présente comme un film commercial en traitant de relations explicitement sexuelles, réalisé par un cinéaste qui avait collaboré aux westerns de Sergio Leone en tant que scénariste, interprété par une star hollywoodienne de l'envergure de Marlon Brando, et décrivant une relation charnelle brute et d'une telle crudité, dénuée de sentiments, tout ceci a pris un caractère provocant dans le contexte féministe de l'époque. On est en 1972, alors en pleine explosion du cinéma pornographique, et le film a été identifié à ce concept, parce qu'il bousculait les données du drame classique.
Passés ces remous conjoncturels, on peut l'analyser plus sereinement : c'est une oeuvre forte, un film qui paraîtra sans doute moins sulfureux aujourd'hui (encore que dans notre époque de non-permissivité, rien n'est moins sûr), mais qui possède des qualités visuelles et artistiques. Attention, je ne cautionne pas le propos ni la façon dont Maria Schneider a été manipulée par Bertolucci, et d'ailleurs ma note ne vise que cet aspect artistique et le drame puissant que le sujet représente, car ce n'est pas le genre de film que j'affectionne. Mais si son succès tient d'abord à sa dimension scandaleuse, il faut voir au-dela du scandale, le film retrace avant tout un trajet initiatique dans lequel le personnage de Brando se débarrasse de ses oripeaux de bonne éducation et s'abandonne complètement à une sorte de spiritualité sexuelle.
Brando fut un choix surprenant, il n'était plus en 1972, la star prestigieuse de Jules César ou de Sur les quais, il venait de tourner le Parrain qui n'était pas encore sorti, aussi, fut-il surpris et intéressé par le projet qu'il accepta pour un cachet dérisoire en incarnant cet Américain déraciné, en s'impliquant presque de façon viscérale, improvisant de plus en plus dans ses dialogues et réactions, d'où une sorte d'osmose totale entre son rôle et sa propre personnalité. Ce fut le même cas de figure pour Maria Schneider, le film lui doit beaucoup, tous deux ne sont plus des interprètes, ils vivent et habitent leurs personnages, et pourtant on sait que ce film a détruit la carrière de cette jeune femme, c'est d'autant plus douloureux. Le réalisme de certaines scènes érotiques effraya tellement la Paramount qui au départ devait financer le film, qu'elle se retira en laissant la place aux Artistes Associés, c'est dire si le résultat fut probant, la liaison des 2 personnages principaux qui au début part d'une pulsion sexuelle, se transforme sous la caméra de Bertolucci en une vertigineuse descente aux enfers.
La réussite tient aussi au traitement de l'image qui joue sur les couleurs orangées et l'utilisation du décor de l'appartement désert qui sert aux ébats sauvages des amants comme un véritable huis-clos, entrecoupé de rares scènes extérieures qui sont très loin du Paris de carte postale qu'on voit ailleurs. On peut donc voir aujourd'hui le Dernier tango à Paris comme une sorte de classique, mais qui ne se regarde pas comme on regarde n'importe quel film.