Le Dernier Tango à Paris est le 6ème long métrage de Bertolucci. Réalisé juste après l'excellent Le Conformiste, et juste avant 1900, ce n'est pas à un amateur que nous avons affaire, mais à un réalisateur confirmé. Pour ce film, il décide d'engager Marlon Brando qui est déjà une énorme star qui vient de finir de tourner Le Parrain et qui n'en est pas encore à la fin de sa carrière puisqu'il aura encore un rôle à jouer dans Apocalypse Now avant que sa carrière ne soit vraiment à plat. Brando joue le rôle d'un quadragénaire qui va prendre l'habitude de coucher avec une jeune femme dans un appartement qu'ils veulent tous les deux louer. Un rôle à forte connotation sexuelle, plutôt inhabituel pour Brando, même s'il est un sex symbol depuis longtemps. Pour l'occasion, il le fera d'ailleurs tourner en grande partie en français. Pour le rôle de la très jeune femme, Bertolucci décide de prendre une comédienne française qui a fait de la figuration dans une dizaine de films avant et lui offre le premier grand rôle de sa carrière, rôle qui lui collera d'ailleurs à la peau jusqu'à la fin de sa vie : Maria Schneider qui n'a alors que 19 ans. Malgré les 25 films qu'elle tournera par la suite de sa longue carrière qui s'étendra jusqu'en 2009, quelques années avant sa mort précoce, c'est son rôle qui restera le plus célèbre. C'est qu'il montre des relations sexuelles crues entre un homme âgé et une femme plus jeune (bien que majeure). La scène la plus célèbre étant la "scène du beurre", que certains ont identifiée à un viol dans cet espèce de "délire érotique" cru et violent.

Au delà de l'aspect le plus évident du film, l'aspect sexuel, c'est le thème de l'identité qui est abordé ici. L'homme dit en effet à la jeune femme dès le début qu'il ne veut rien savoir sur elle, par même son nom, et inversement. Ils n'ont qu'une chose à faire : coucher ensemble, et il ne veut rien savoir ni du passé, ni du monde extérieur, c'est pourquoi les volets resteront fermés.

Cependant, le spectateur en apprendra peu à peu sur l'identité des deux protagonistes. Jeanne est fiancée à un jeune réalisateur de films (Tom) interprété par Jean-Pierre Léaud qui décide de la faire jouer dans un film sur elle-même qui traite de son identité, bref tout le contraire de ce que veut l'homme (Paul). Paul racontera à Jeanne des choses sur son passé, sur son père, sur son enfance, sans qu'on ne sache vraiment si c'est vrai ou non. On découvre un homme vulgaire, bourru, et néanmoins viril, une sorte de mélange entre Hemingway et Donald Trump (l'homme qui "attrape les femmes par la chatte"), mais est-ce son identité profonde, définitive, où est-il comme cela pour une raison ? La suite du film nous révèle peu à peu qu'il a perdu sa femme qui s'est suicidé, jusqu'à la scène où il parle au cadavre de la morte étendue dans sa chambre mortuaire entourée de fleurs. Ce serait donc le suicide de sa femme qui l'a rendu comme ça. Lui qui croyait à la vie, à l'amour, ne croyant plus à l'un ne croit plus à l'autre. Il semble au départ qu'il veuille vivre une dernière histoire d'amour avec une jeune femme anonyme qui puisse être n'importe quelle femme y compris celle qu'il vient de perdre. Ainsi la jeune femme l'aide à faire le deuil de son amour perdu. Dans la fin du film, il finit par s'attacher à la jeune femme et essaye à nouveau de jouer la "comédie de l'amour" lui proposant de vivre avec elle, et révélant enfin son identité. Mais il est trop tard. Après plusieurs revirement, Jeanne décide de se marier avec Tom moins viril, mais plus équilibré, et surtout moins fou et violent. Paul va la poursuivre jusqu'à l'appartement de la mère de Jeanne, et là c'est le drame, elle va lui tirer dessus avec le révolver de son père colonel que sa mère gardait au cas où. Le coup est-il parti tout seul, ou était-ce vraiment son intention de le tuer ? L'homme va marcher jusqu'au balcon, et au moment ultime, celui de la mort, ouvrir les volets (maintenus clos dans l'autre appartement), s'ouvrir au monde, regarder une dernière fois le ciel avant de mourir. On le retrouvera en position fœtale (régression, position initiale), la boucle est bouclée.

Ce film de Bertolucci n'est ni romantique, ni même érotique. C'est même exactement le contraire qu'il a voulu montrer. Il me semble qu'il a voulu montrer comment un deuil peut altérer l'identité d'une personne jusqu'à révéler ses aspects les plus monstrueux (la fille appelle l'homme "monstre" à plusieurs reprises), sa laideur, sa vulgarité (ce n'est sans doute pas pour rien qu'il a choisi un acteur états-unien pour cela). Enfin, mentionnons une sorte de jeu de miroirs. La scène où Paul et Brando parlent de l'âge et du temps qui passe et sont habillés pareil. Le père de Jeanne colonel, on imagine un homme viril et violent et on comprend son attraction sinon difficilement explicable pour Paul. Et enfin Tom et Jeanne pourraient représenter les parents de Rosa (la suicidée) dans une sorte de boucle temporelle étrange.

Un film difficile à voir tant par son aspect vulgaire et répugnant que par l'ennui qu'il provoque (certaines longueurs auraient pu être coupées), mais qui a néanmoins une place importante dans la filmographie de Bertolucci, même si ce n'est certainement pas son plus réussi. Je préfère quant à moi Un thé au Sahara, bien plus abouti et visuellement magnifique. Bref, malgré son titre, et comme l'explique bien la scène finale, ce que ce film nous montre, c'est exactement l'inverse d'un Tango, l'inverse de l'érotique et de la sensualité, de la précision et de la grâce. C'est deux personnes bourrées sur la piste de danse qui dérangent tout le monde.

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le 9 févr. 2024

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Hunkarbegendi

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