« We don’t need names in here »
Sans paroles, sans nom, sans histoire. Voici l’utopie sexuelle à laquelle le veuf Brando invite la jouvencelle Jeanne, toute en rondeur et en boucles : une toile vierge sur laquelle on va tenter d’écrire tout ce que le fantasme (d’esthète ou de mâle, mais quoiqu’il en soit, masculin) peut générer. Les cris d’animaux, la copulation brute et sans fard, le tout dans un appartement déserté dont l’unique meuble stable est un lit.
Très pictural, le film est virtuose dans son cadrage. Les portes, les fenêtres, les miroirs posés au sol, les reflets découpent l’espace en toiles d’une grande maîtrise jouant sur toutes les nuances de l’ocre et de l’incarnat. De l’autre côté de baies au verre feuilleté, les mains s’appliquent et les corps s’écrasent, silhouettes de chair qui se propulsent l’une contre l’autre.
De temps à autre, Paris se laisse voir : métro aérien, pont suspendu, c’est une ville aussi fluide que l’appartement est statique, bulle suspendue d’un monde à part.
Tous ces éléments font du film une réussite.
Le problème, à mon sens, c’est lorsqu’on dépasse le pacte initial : est-ce pour prouver l’intelligence du projet de Paul que les échanges qui ponctuent le récit sont si souvent vains et laborieux ? De belles idées de départ sont souvent plombées par un développement assez poussif. Toute l’intrigue autour du couple entre Jeanne et JP Léaud est assez dispensable, comme le sont les gros traits de la mise en abyme du tournage de leur amour, le cinéma qui voudrait capter le réel sans réellement y parvenir, etc. A la fois maladroitement expérimental dans l’audace de certains dialogues, trop écrits, pseudo poétiques et laborieusement paradoxaux, et pas assez radical dans l’utopie qu’il tente de mettre en place, le film est finalement assez bancal. On aurait pu se contenter de scènes d’intérieur, en huis clos (à l’exception de la sublime séquence d’ouverture lors du croisement des protagonistes) pour un film plus court, plus charnel et moins verbeux.