Je crois que c'est le premier film de Russ Meyer qui ressemble autant à un... film. Un film normal, avec une intrigue, une mise en scène, une direction d'acteur. Bon évidemment, on reconnaît très vite la patte de Meyer à la sur-représentation de pinups blondes à poitrines avantageuses, mais très étonnamment on ne passe pas l'essentiel du film à contempler la nature de leur morphologie. Non pas que le film soit exempt de nudité gratuite, loin de là, mais disons que pour un film qui porte sa signature on est clairement dans la fourchette basse en termes de densité de seins.
Globalement ce sont les femmes qui ont le beau rôle moral, et au-delà de l'exhibition permanente de son cinéma en matière de corps féminin, il me semble que ses intentions ne sont pas unilatéralement mal placées. Ici c'est le personnage de Eula (la très hypnotisante Rena Horten) qui incarne la pureté baignant dans la corruption ambiante, elle est sourde et muette, elle est magnifique, et le vice des alentours n'en finit pas de la salir. C'est très bizarre ce cadre de Grande Dépression et de Prohibition investi par Meyer pour dérouler son histoire, car oui il y a une véritable histoire avec cet étranger, un ancien détenu cherchant du travail dans cet arrière-pays de dégénérés.
Bien sûr on est chez Meyer donc il ne faut pas s'attendre à un monument de subtilité, il y a les corrompus, cruels et violents d'un côté, complètement bouffés par le vice et la bêtise, et de l'autre quelques exceptions qui ne se satisfont pas de la pourriture ambiante. Pas de nuance. Mais la galerie de personnages est attrayante, entre Sidney l'horrible ivrogne qui bat sa femme et le couple Maggie / Injoys qui passe presque tout le film à danser et se marrer — mais ça peut vite devenir désagréable si on n'accroche pas. Identifié par certains comme un mélodrame dépravé à la Tennessee Williams, "Le désir dans les tripes" (Mudhoney) aura été une belle surprise dans l'univers de sexploitation du réalisateur américain, entre tragédie et comédie loufoque.