Voilà un film policier de Gilles Grangier réalisé en 1958 qui mérite le détour.
Oh pas pour l'histoire policière qui avance son petit bonhomme de chemin et dont on comprend assez vite que le coupable, on finira bien par savoir qui c'est sans trop se biler.
Non, le film mérite le détour pour les numéros d'acteur, l'ambiance générale trouble et noire et les dialogues d'Audiard. Et la bande son...
Les numéros d'acteur ...
Jean Gabin, bien sûr. C'est un inspecteur de police, un flic, presque du rang. Il n'apparait pas tout de suite mais on en parle lors d'une réunion à la PJ où Paul Frankeur, le collègue, en parfait petit salaud, bave salement auprès de son chef (François Chaumette) sur un soi-disant certain penchant pour les boissons alcoolisées "les jus de fruits" ... Histoire de mettre le spectateur en attente de l'apparition de l'acteur et de vérifier la médisance de Frankeur. Sous-entendu, "faudra pas attendre des résultats rapides pour l'enquête" ...
Donc d'un côté Gabin, pas très en cour auprès de la hiérarchie. Mais de l'autre côté, c'est un Gabin un peu vieillissant, un peu solitaire, qui a une passion pour le jardinage et qui tombe amoureux d'une petite prostituée camée (Nadja Tiller) qu'il veut protéger d'une part des aigrefins qui en profitent et d'autre part, de la police dont c'est une coupable toute désignée. Ce sera la dernière fois de sa carrière que Gabin jouera un rôle où il tombe amoureux, rôle où il retrouve sa voix tendre des plus jeunes années... Emouvant et savoureux.
Nadja Tiller joue le rôle d'une fille allemande de très bonne famille de 23 ans venue en France pour des études (peut-être) surtout pour tenter de percer dans la chanson ; Mais elle est gentille et attachante et se fait manipuler par ce milieu interlope et équivoque puisqu'elle se drogue et en vient à se prostituer. Mais le jeu de l'actrice est extraordinairement émouvant et attachant et le spectateur ne peut que ressentir une profonde empathie pour cette jeune femme au bord du gouffre.
Et pour servir ces deux vedettes, une floppée de seconds rôles dont c'est parfois la première apparition.
Il y a les deux autres flics dont j'ai déjà parlé François Chaumette et Paul Frankeur ; ce dernier qui critique salement son collègue Gabin mais n'ose pas lui adresser la parole.
"Quand je lui téléphone, il n'est jamais trop aimable. Je ne sais pas pourquoi si c'est le téléphone ou moi. Il ne t'a jamais rien dit ? Sur le téléphone ? non."
Il y a aussi les truands comme Roger Hanin (il est tout jeune et ne fera pas de vieux os) ou Robert Manuel.
D'autres petits rôles comme Jacques Marin dans un rôle de loufiat bavard ...
"J'en fais pas souvent ; ça doit remonter ce truc-là" après avoir servi un double pernod dans un double verre de rhum.
Bien sûr, aussi Danielle Darrieux dans un rôle très ambigu de femme d'apparence très bourgeoise, au langage châtié, cabotinant presque contrastant avec une âme noire mais noire...
"C'est avec les bonnes bourgeoises qu'on fait les meilleures grues, tous les séducteurs savent ça"
Je parlais de la bande son aussi avec cette chanteuse et pianiste de jazz américaine qui chante ici en français avec une voix tranquille et profonde comme la nuit : Hazel Scott. Elle est dans sa période parisienne après avoir fui la ségrégation et les accusations de la commission MacCarthy aux USA.
Oui, c'est un bon film très prenant de Gilles Grangier où le désordre se conjugue avec la nuit, film qui met en scène Jean Gabin avec Nadja Tiller qui aime la pluie et la nuit et qui récite les deux vers de Verlaine ...
Il pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville