L’appel de l’adoré.
Portrait de femme comme on en trouve tant dans le cinéma nippon, Le destin de Madame Yuki dépeint le quotidien sordide d’une épouse, aussi délicate que son mari est vulgaire, aux appétits insatiables...
le 31 août 2017
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Précision initiale : Yuki est le prénom du personnage central et pas son nom de famille. Son mari, Naoyuki, est un homme aux manières brutales qui ne lui inspire plus aucune tendresse, si tant est qu’il y en ait eu à un moment (le mari évoque fugitivement les clients qu’elle avait auparavant, ce qui pourrait indiquer qu’elle était geisha avant leur mariage). Le couple vit dans une somptueuse villa (décor remarquable, en particulier dans une immense salle de bains carrelée comme une piscine) qu’on découvre en même temps qu’Hamako, jeune femme ravie d’être admise comme servante dans ce cadre dont elle rêvait depuis le mariage du couple auquel elle a assisté.
Hamako découvre vite que sous ce décor idyllique se cache un drame aux ramifications multiples et sordides. D’abord, si Yuki n’aime pas son mari, elle est incapable de lui résister. Au-delà de sa force physique, elle cède au désir qu’il ne se gêne pas pour exprimer quand ça lui prend, même un jour de deuil. Encore au lit avec Yuki, Naoyuki n’hésite pas à appeler Hamako pour un service. Celle-ci ne peut donc pas ignorer ce qu’il vient de se passer entre les époux. Ensuite, Hamako apprend que Naoyuki entretient une maitresse sans le moindre souci de discrétion. Celle-ci ne se cache pas et vient même avec un comparse dans une demeure du couple où elle mâche ostensiblement du chewing-gum et se lève pour faire entrer Yuki dans une pièce et l’inviter à s’attabler avec la compagnie. De son côté, Yuki entretient une relation toute platonique avec Masaya Kikunaka, un confident qu’elle épouserait bien si elle était libre. Sa liberté, Yuki pourrait la conquérir en obtenant son indépendance financière. L’argent semble malheureusement ce qui la bloque avant tout (on imagine bien la charge financière de l’entretien de la villa où Hamako vient prendre ses fonctions). Héritant d’une maison par son père, Yuki y installe une auberge, ce qui ne l’empêchera pas de supplier son mari de ne pas la quitter. Les différents épisodes qui enrichissent l’intrigue surprennent par leur aspect sordide (dû à la mentalité du mari), alors que Yuki vit dans un univers raffiné et que son caractère la porte au calme et à la méditation. Opposition renforcée par l’atmosphère générale du film : des intérieurs riches, des extérieurs où Mizoguchi donne libre cours à ses goûts d’esthète (le noir et blanc souligne aussi bien les intérieurs que les paysages). On pourra regretter l’aspect larmoyant (souligné par la musique) et un peu trop de brume dans les paysages. Sinon, le réalisateur alterne des plans sublimes et des mouvements de caméras tout en douceur ainsi que des effets qui sont au service des impressions qu’il veut donner. Schématiquement : le raffinement et la vulnérabilité du côté de Yuki (paysages, intérieurs, déplacements feutrés), grossièreté et vulgarité du côté de Naoyuki son mari, avec des éclats de voix et des attitudes déplacées.
Le portrait de Yuki est donc celui d’une femme bafouée qui ne trouve pas la force de briser le lien conjugal. Elle touche le fond en apprenant indirectement qu’elle est enceinte, de son propre mari bien entendu puisqu’elle ne l’a jamais trompé. Cela fait beaucoup, même pour le spectateur.
Kenji Mizoguchi adapte ici un roman de Seiichi Funabashi, en inaugurant (1950) un cycle de 3 films (avec Oyu-sama et Musashino Fujin) consacré à des portraits de femmes malheureuses. Le film est produit par la Shintoto, Mizoguchi ayant rompu avec la Shochiku qui avait reporté le tournage de La vie d’Oharu femme galante et on peut retenir que le réalisateur dénigrait ce Yuki Fujin ezu (titre original). A mon avis, son talent de metteur en scène n’est pas en cause. Malheureusement, le scénario (cosigné Kazuro Funabashi et Yoshikata Yoda) laisse trop de zones d’ombres pour être pleinement convaincant. La direction d’acteurs est elle aussi irréprochable, même si ma préférence va à Yoshiko Kuga dans le rôle d’Hamako plutôt qu’à Michiyo Kogure dans le rôle-titre.
La fin est subtile avec une promenade de Yuki dans un paysage envahi par la brume matinale. Remarquables d’élégance, des mouvements de caméra soulignent la présence d’un serviteur qui voit arriver la jeune femme non loin du rivage proche de la demeure. Au plan suivant, alors qu’il lui apporte le petit-déjeuner sur un plateau, Yuki a disparu.
Créée
le 20 juil. 2017
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