Les meilleurs dialogues jamais écrits par notre stakhanoviste national de l’absurde. Poupées russes qui taquine les tabous de notre époque, sans avoir peur de sauter par la fenêtre d’Overton en ces temps tiédasses de binarité du débat public que plus personne ne regarde, l’habile Dupieux jongle tranquillement entre wokisteries bien pensantes, mais progressistes, et bons vieux ralages franchouillards avinés, fatalement très conservateurs. L’ecriture dépasse pour la première fois ses kinks scenaristiques avec une mise en abime de la France d’aujourd’hui. En choisissant un décor de campagne verdoyante et ses routes vides, où les protagonistes marchent comme des somnambules sans direction en glosant comme des poulets sans têtes, et ce restoroute en ruine d’un autre temps, lieu de tournage où de véritables comédiens débattent de leur privilèges sur un ton passif agressif typique du parisien, Dupieux plus mature que jamais tend un miroir au non sens contemporain, et dilue à merveille dans son univers cette France, peut être perdue, peut être fantasmee, mais certainement clivée. Mais une chose est sure, on est chez lui, et peu importe l’attachement imaginaire de chacun à la ruralité, à sa propre nostalgie nationale, ici est comme tout bon surréaliste de faire voler en éclat l’analyse et de jouer avec nous. Comme d’habitude la perte de sens est jouissance libératrice, et le menu est connu : l’illusion de la représentation fabrique la réalité elle même. Bonus hilarant à ce niveau, le tout est servi sauce menacante du seul grand remplacement à craindre (car pas imaginaire celui là), l’intelligence artificielle. Une autodérision plutôt bien ironique pour un adepte de l’écriture automatique. En pleine possession de ses moyens malins, passeront donc à la casserole: féminisme, écologie, consentement, homosexualité, suicide, productivisme managerial dématérialisé, histoires d’amours foireuses de tournage et calculs carriéristes de comédiens délicieusement narcissiques, et surtout un inattendu Vincent lindon…Dupieux nous convie à un festin de famille what the flûte metapolitiquement incorrect, un dérapage qui déstabilise sans cesse mais toujours plus fun à mesure qu’il dévoile ses coulisses. Et sans que l’on déjoue les recettes narratives de ses essais précédents, le régal .
Ce traveling final me hante encore.