Trop de transgressions pour l'époque, qui nous charment aujourd'hui

J'avais vaguement en mémoire la version de 1986 de Marco Bellocchio et j'ai cru que je revoyais ce film.
Je me suis très vite aperçue que ce n'était pas la même époque de tournage !


Ce film n'en demeure pas moins un petit chef d'oeuvre, nettement moins osée c'est certain, mais pour l’époque, Claude Autant-Lara avait créé un tollé lors de sa sortie, le 12 septembre 1947.


Adaptation du roman de Raymond Radiguet, il fut critiqué pour inciter à l'exaltation de l'adultère et prôner l'antimilitarisme. Des journalistes firent même une pétition pour que le film soit retiré de l'affiche. À la projection au festival de Bruxelles le 29 juin 1947, l'ambassadeur de France quitta la salle.
Il permit en tout cas à Gérard Philipe d'obtenir le Prix d'interprétation au festival de Bruxelles 1947, ce qu'il n'a pas volé, tant son interprétation est brillante.
Outre l'histoire marquante, je trouve que l'acteur fait le cachet du film, plus que Micheline Presle que je trouve assez empruntée, moins originale.


Claude Autant-Lara se distingue par la qualité de sa photographie. les jeux d'ombres et de lumières, les visages en gros plan, les décors assez austères rendent une atmosphère très particulière, mystérieuse, identifiable au premier coup d’œil. C'est ça la patte Autant-Lara !


Le scénario est très proche du roman éponyme, sorti en 1923. Cette histoire d'amour entre un jeune lycéen de dix-sept ans et une femme mariée avait de quoi choquer les esprits de 1947, comme elle avait choqué ceux de 1923. Elle touchait en effet à des principes toujours fondamentaux dans la société d'alors : la fidélité dans le mariage, le respect des soldats partis au front, le sentiment patriotique, le respect des parents, la différence d'âge.


Pourtant, est-ce du aux ellipses de la mise en scène, mais quelques éléments m'ont un peu gêné : pourquoi ces revirements dans les décisions de François ?
J'ai ainsi du mal à m'expliquer pourquoi il attend au rendez-vous du pont, caché avec son père, n'osant se montrer à Marthe, qui elle est bien présente ? C'est bien le point de départ de l’histoire, car sans ce rendez-vous "manqué", on n'aurait pas d'histoire. François le dit très bien d’ailleurs dans le dîner d'adieu au restaurant. Est-ce la présence du père qui représente tout l'interdit sociétal qui empêche François d'aspirer à ses désirs?
Ou bien, est-ce son jeune âge qui fait qu'il est dans l'indécision, dans les sautes d'humeur caractéristiques de l’adolescence ?
On peut peut être retenir un mélange de ces deux tentatives d’explication ? Il semble que Radiguet ait beaucoup insisté sur les faiblesses de son personnage (qui n'est autre que lui-même, c'est fort connu), sa veulerie, ses hésitations. Put-être que ce sont justement ses faiblesses qui manquent au film, Gérard Philippe ayant un physique de jeune premier, sans peur et sans reproches.


De la même façon, pourquoi François renonce t-il à partir avec Marthe ? Option trop exigeante pour lui, pour son jeune âge ? Peur de l'avenir pour eux trois, obligés de vivre dans le péché, le mensonge, de devoir éternellement se cacher ?
Finalement, c'est une belle leçon de maturité qu'il nous rend là, et qui prouve tout son Amour pour Marthe et son enfant.


Quant à l'antimilitarisme, il apparaît en teintes fines tout au long du film. François, pour des raisons personnelles qu'on imagine bien, ne souhaite pas le retour de la paix, car la fin de la guerre correspond au retour du mari. Mais, il semble que ses raisons sont plus profondes.
Dès le début du film, il a l'air de mépriser les soldats partant à la guerre, de trouver terribles les enterrements des soldats morts au combat. Les discussions qu'il tient avec son jeune ami, également lycéen, prouvent qu'il ne partage pas le sentiment patriotique de la plupart des hommes de l’époque. Il reconnait même que ses quatre années de guerre sont des vacances pour lui, lui qui est trop jeune pour être mobilisé. Puis, comble du comble, il se complaît à tromper un soldat parti au front. Et à la fin, il ne souhaite pas fêter avec ses pairs l'armistice.


On pourra noter l'importance et la finesse des personnages secondaires, à commencer par les parents avec l’excellente Mme Grangier, interprétée par Denise Grey, le père de François et le couple des Marins, les voisins espions, éternels critiqueurs.

Créée

le 16 août 2016

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