Peine incompressible
Faut-il être à tout prix indulgent pour l’œuvre d'un cinéaste harcelé par les autorités de son pays, emprisonné à l'occasion et interdit de sortie de son territoire, entre autres brimades ? La...
le 1 déc. 2020
36 j'aime
2
Comme toujours je me suis rendu à cette séance sans avoir lu le synopsis ni vu la bande-annonce, avec donc comme seuls repères le nom d'un réalisateur qui m'avait ébloui avec son "homme intègre" et dans son sillage une réputation de grand film depuis son Ours d'Or berlinois acquis en 2020.
Entre temps une certaine crise sanitaire est passée par là, et avec elle un paquet de sorties remises aux calendes grecques. Initialement prévu le 5 août 2020, c'est donc mercredi et après cinq reports successifs que ce moment tant attendu est enfin arrivé.
Au bout de 45 minutes très iraniennes, les figures tutélaires de Kiarostami et Farhadi étant clairement convoquées, et une grosse claque derrière les oreilles provoquée par l'art du plan qui tue, je me rends compte que le premier récit s'achève pour laisser place à un autre. Ce segment appelé "Le Diable n'existe pas" sera prolongé, complété, commenté par trois autres qui, si mes souvenirs sont exacts, auront pour titre "Elle lui dit : « Tu peux le faire »", "Le Jour d'anniversaire" et 'Embrasse-moi", à la manière d'une pièce en quatre actes.
Segments qui se répondront, où la présence d'un personnage dans tel ou tel sera la conséquence de ses actes dans le précédent. Mais contrairement à ce qu'on pourrait croire l'entreprise n'est en rien conceptuelle ni vaine, elle répond autant à une logique de propos que de cinéma. Mohammad Rasoulof travaille les genres et leurs codes pour illustrer un même discours, ou quand l'absence d'incarnation des victimes, de leurs visages, se fait traumatisme, tout en embrassant l'histoire du cinéma iranien, se permettant même de franchir la frontière avec la Turquie quand soudain son esthétisme va se balader du côté de Nuri Bilge Ceylan. Mais chose plus surprenante, il assume pleinement le romanesque et utilise même à l'intérieur de chaque récit des ressorts scénaristiques très hollywoodiens, le twist se confrontant ainsi de façon presque antinomique à l'aridité.
Que ce soit dans le drame psychologique choc, le thriller haletant, la romance contrariée ou la fable où même le renard montre le bout de son museau, le réalisateur assigné à résidence parle de l'horreur d'un système, d'un régime, de la lâcheté de celui-ci qui oblige l'individu à choisir entre tuer et entrer en résistance, donc dans une hypothèse ou l'autre à voir sa vie brisée. Il parle donc en permanence de conscience, individuelle ou collective, de morale, mais sans moralisme.
On ressort de ces 152 minutes chancelant, un peu honteux de s'être parfois délecté de la beauté des images, Rasoulof ne se privant pas de nous montrer le grand écart entre majesté des paysages d'un pays et horreur en creux, dévastation des êtres et de leurs âmes.
"La Loi de Téhéran" et "L'Échiquier du vent" cet été, "Le Pardon" et "Le Diable n'existe pas" actuellement, films contemporains ou trésor ressuscité, le cinéma iranien est donc de retour en force et forme sur nos écrans.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Le Biactol, ça fait péter les neurones, La femme est l'avenir de l'homme, Tout est politique, Viens prendre ta claque et Les chiffres ne trompent pas, je suis un mouton
Créée
le 3 déc. 2021
Critique lue 3.6K fois
43 j'aime
1 commentaire
D'autres avis sur Le Diable n'existe pas
Faut-il être à tout prix indulgent pour l’œuvre d'un cinéaste harcelé par les autorités de son pays, emprisonné à l'occasion et interdit de sortie de son territoire, entre autres brimades ? La...
le 1 déc. 2020
36 j'aime
2
Quitter le travail, circuler dans des rues embouteillées, récupérer femme et enfant, aller à la banque, rendre visite à sa mère malade, surveiller les devoirs scolaires, dîner dans une chaîne de...
le 27 avr. 2022
12 j'aime
Quoiqu'on en dise, quoiqu'on en pense, Le Diable n'existe pas, ou Il n'y a pas de Diable si l'on traduit le titre original Persan, est un film important. Et son réalisateur est bien courageux. Car...
Par
le 12 déc. 2021
10 j'aime
2
Du même critique
"Ernest et Célestine" est-il un joli conte pour enfants ou un brûlot politique ? Les deux mon général et c'est bien ce qui en fait toute la saveur. Cette innocente histoire d'amitié et de tolérance...
Par
le 15 avr. 2013
284 j'aime
34
Il y a quelques semaines je vous racontais comment ma fille m'avait tendu un piège : http://www.senscritique.com/film/Nos_etoiles_contraires/critique/37679152 Cette fois, la laissant à nouveau mener...
Par
le 30 oct. 2014
261 j'aime
21
En 2010, la justice française m'avait condamné à 6 mois de prison avec sursis pour avoir émis un avis positif sur le premier album de Stromae (1). La conclusion du tribunal était la suivante : "A...
Par
le 18 août 2013
259 j'aime
34