Faut-il être à tout prix indulgent pour l’œuvre d'un cinéaste harcelé par les autorités de son pays, emprisonné à l'occasion et interdit de sortie de son territoire, entre autres brimades ? La réponse est évidemment négative mais ne se pose pas dans le cas de Le diable n'existe pas de Mohammad Radoulof, Ours d'Or à Berlin. Néanmoins, il n'est pas inutile de préciser que la qualité du film, y compris sur le plan plastique, ferait presque douter qu'il a été tourné de façon clandestine, au nez et à la barbe de la censure, à laquelle Rasoulof a fait croire qu'il réalisait 4 courts-métrages. Ce n'est pas entièrement faux, d'ailleurs, puisque son film est construit autour de 4 histoires distinctes, sketches dirait-on en d'autres circonstances, mais reliées par un sujet commun : la peine de mort. Les récits se répondent, peu ou prou, le deuxième et le quatrième, notamment, et posent la question de l'engagement et du courage dans une société coercitive avec la quasi impossibilité de dire non et de se rebeller, ou alors à ses risques et périls. Certains trouveront sans doute le film trop programmatique, directif et peu subtil mais c'est faire peu de cas de l'efficacité intrinsèque de chaque segment, de la variété de traitement (chronique, thriller, mélodrame ...) pour parvenir à un ensemble d'une cohérence absolue et passionnant de bout en bout, par les nuances apportées dans des narrations toujours claires et brillantes, faisant la plus large place à l'humanité de chacun de ses personnages dans un pays qui n'a d'autre but que d'étouffer les libertés individuelles et de réduire les oppositions à néant. Le diable n'existe pas est bien davantage qu'un film-dossier, disons à la Cayatte, c'est du très grand cinéma, un chef d’œuvre, n'ayons pas peur des mots, qui ne va pas arranger le cas de Mohammad Rasoulof mais dont le retentissement, on l'espère, lui permettra de continuer à faire son travail, sans avoir peur de payer sa liberté de penser et de s'exprimer contre toutes les forces obscurantistes. Ce qui serait une manière de démontrer que le diable, s'il existe, peut aussi être combattu avec les armes du talent et de la bravoure.

Cinephile-doux
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le 1 déc. 2020

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