Cinéaste majeur, démesurément rigoureux, auteur singulier dont l'existence embrasse pratiquement l'intégralité du siècle dernier Robert Bresson réalise en 1977 son pénultième long métrage : Le Diable probablement, manifeste monacal du monde contemporain faisant fi de toute forme de psychologie réductrice, privilégiant les images et les sons comme autant de moyens capables d'expliciter l'enfer d'une société consumériste digérant inlassablement sa propre vacuité.
Rarement Bresson aura utilisé le hors-champ de manière aussi magistrale qu'avec Le Diable probablement. Opérant par des cadrages sciemment hermétiques, divisant chacun des modèles pour mieux les enfermer dans leur individualité respective le cinéaste laisse place à l'imaginaire du spectateur par l'entremise d'une mise en scène redoutablement statique, inamovible, possible nature morte d'une jeunesse désespérée car peu confiante en l'avenir.
La musicalité du montage - montage d'une précision désarçonnante, à tel point que le perfectionnisme légendaire de Robert Bresson prend ici des allures maladives et poignantes - reste étonnamment limpide, conduisant un récit en totale adéquation avec sa mise en forme. Le Diable probablement s'appréhende comme un concert silencieux de fragments dissociés, visuellement déroutants et passionnants dans leur agencement métrique. Rien ne va de soi dans cette politique-fiction d'une noirceur à la fois tranchante et indicible, drame existentiel acculant au suicide son modèle principal ( Antoine Monnier, maussadement beau ). Michael Haneke fut incontestablement marqué par cette oeuvre exigeante et sans concessions, puisqu'il semble s'en inspirer formellement dans son chef d'oeuvre Le Septième Continent. Un grand film.