Premier film parlant de Chaplin (les Temps modernes réalisé 4 ans avant n'était que sonore), c'est étrangement prémonitoire dans sa caricature de Hitler. Chaplin l'a écrit en 1938, puis à commencé à le réaliser en 1939, et une semaine après le début du tournage, la guerre éclatait en Europe. Sorti en Amérique en 1940, le film se heurte à l'hostilité des isolationnistes qui ne voulaient pas que les Etats-Unis interviennent en Europe, et aux sympathisants du nazisme. De même que quand il sera distribué en France en 1945, peu après la capitulation de l'Allemagne, le film suscita des réserves car la caricature hitlérienne et la vision chaplinesque des camps de concentration et du ghetto ne prêtaient pas à rire après les horreurs du nazisme, les destructions de villes, et le génocide des juifs. Il faudra attendre quelques années pour que le film soit enfin reconnu comme un chef-d'oeuvre majeur de son auteur.
Le plus curieux, c'est que Chaplin avait ridiculisé Hitler bien avant qu'il ne devienne le tyran le plus haï, et qui d'après Chaplin, "lui avait volé sa moustache". Il avait choisi d'en faire le sosie d'un petit barbier juif idéaliste et utopiste, se faisant ainsi le représentant d'une communauté persécutée, et dont il assumait le droit à l'existence. Chaplin met en parallèle ses 2 héros : le barbier juif et le dictateur Hynkel, stigmatisant les forces maléfiques qu'incarne le second et idéalisant ce petit barbier brusquement victime d'un monde hostile. Le réalisateur-acteur passe de la comédie au burlesque le plus débridé (notamment la célèbre scène où Hynkel jongle avec un globe terrestre), tout en frôlant sans cesse le drame.
Contrairement à Lubitsch qui réalisera 2 ans plus tard To be or not to be (Jeux dangereux) dans un registre d'humour volontairement noir, Chaplin se sert d'un humour plus sentimental et moins ambigu. Hynkel est constamment ridicule par son comportement, et Chaplin en profite pour épingler aussi l'autre dictateur allié, Napaloni, caricature non dissimulée de Mussolini. Il emploie aussi d'excellents acteurs pour symboliser ces figures grotesques, tels que Jack Oakie dans le rôle de Napaloni, Henry Daniell dans le rôle de Garbitsch (sorte de caricature de Goebbels), et retrouve Paulette Goddard qu'il avait fait débuter dans les Temps modernes.
Fable très drôle au génie comique d'autant plus éclatant que la tragédie affleure, le Dictateur reste un des meilleurs films de son auteur qui se place comme un réquisitoire contre l'intolérance, notamment à travers le discours final qui est aussi un grand moment.