Cher Francis,


Je vous écris cette petite lettre pour vous remercier. Vous dire merci pour les nombreux fous rires à gorge déployée que vous m'avez offerts, années après années, au cours d'un Dîner de Cons de haute volée. L'Everest de votre filmographie, pour moi. Votre film, je dois le connaître par coeur, certainement. Pour l'avoir vu très souvent. J'en ai même perdu le compte en route.


Car jamais votre Dîner de Cons ne me lasse. Le dispositif est pourtant connu. L'ordre des péripéties aussi, qui précipitent la vie de Pierre Brochant dans un abîme sans fond. Mais votre film est fascinant, tant sa mécanique du rire est millimétrée et vos répliques ciselées, presques toutes cultes, sont exécutées au cordeau. Digne des rouages qui animent les aiguilles d'une montre suisse, tant le rythme, la précision et le souci du plus petit détail sont constants. Vos bons mots tombent toujours justes et font croire aux situations que vous exploitez, qui semblent comme couler de source. A tel point que même les jeux de mots les plus évidents sont amenés sans que l'on ne s'en aperçoive. Votre humour, il est aussi fait des scènes les plus improbables, mais qui font mouche à tous les coups, dans un "perfect" implacable.


Mais pour que cet équilibre soit mis en oeuvre, encore faut-il le casting juste. Le votre touche la grâce. Thierry Lhermitte est impérial. Il navigue dans ses expressions entre le prédateur sournois et goguenard, la colère sourde et ses regards les plus sidérés et ahuris devant tant de bêtise, de maladresse et d'imbécilité qui peuvent être contenues dans une seule et même carcasse. Ses accès de colère, les rares et brèves lueurs d'espoir dans ses yeux lorsque Pignon se reprend, le désespoir le plus total l'animent à mesure que la situation lui échappe. Tout fait de ce personnage cynique et pathétique la victime idéale et expiatoire d'un Jacques Villeret immortel dans son rôle de ravi débonnaire au visage lunaire et dégarni. Innocent, élément dévastateur malgré lui, tout y passe grâce à sa maladresse.


Villeret dessine en creux le portrait d'un personnage de clown triste aux blessures affectives encore vives, partagées à l'évidence par un acteur aux failles sensibles. Pignon devient ainsi le pilier de la perte d'un Brochant de plus en plus exaspéré par les facéties involontaires de son invité, le menant en moins d'une heure à la séparation, dans les bras de la maîtresse qu'il évite et au contrôle fiscal. L'impayable Daniel Prévost devient la quatrième pièce de ce puzzle magique, aérant l'intrigue en amenant une menace supplémentaire qui sera désamorcée dans une scène d'anthologie dont vous avez le secret. Une de plus.


Tous ces éléments, cher Francis, font de votre Dîner de Cons une oeuvre des plus réjouissantes, un jalon de la comédie française, précieuse et merveilleuse. A vrai dire, Le Dîner de Cons, c'est le dernier représentant de son espèce, quand on y repense. Celle du rire recherché, de la comédie alerte qui refuse obstinément d'être facile et grasse. Pas comme tous ces produits qui lui ont succédé aujourd'hui, comédies bas de gamme molles, consensuelles et inoffensives, avec comme seul argument un rire dérisoire et formaté, seulement financées pour être un véhicule à pseudo humoriste en vogue et rapporter le maximum de pognon sans aucun souci de qualité.


Cher Francis, c'est ce qu'il y a de plus triste dans votre Dîner de Cons : qu'il ait été le dernier témoin d'une époque révolue. Car votre mécanique du rire, dont je suis encore un fan fervent aujourd'hui, digne du travail d'un petit artisan au sommet de son art, elle sera, pour longtemps encore, aussi millimétrée qu'indépassable.


Respectueusement, Behind_the_Mask.

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