Maldoror ? Oui, Maldoror, des Chants de Maldoror écrits par Lautréamont, texte fou sans histoire cohérente à propos du Mal sous toutes ses formes, et dont le seul fil conducteur est ce Maldoror, présence mystérieuse (est-ce un homme ? Une créature ? Une âme damnée ?) et maléfique, cruelle et misanthrope, reniant constamment Dieu et la morale. Maldoror, un nom qui va bien, puisque le film s’inspire de son affaire, à Marc Dutroux. Ici il s’appelle Marcel Dedieu, ogre inquiétant que va traquer sur plusieurs années, et jusqu’à l’obsession, le jeune gendarme Paul Chartier qui, au-delà de l’horreur des faits, va se retrouver confronté aux dysfonctionnements du système policier et judiciaire belge (les nombreux manquements dans l’affaire Dutroux amèneront d’ailleurs, à partir de 2001, à la réforme des polices).

Sous influences clairement fincherienne (un peu de Zodiac, un peu de Se7en) et polars franchouillards des années 70 (qu’il revendique), Fabrice Du Welz signe une œuvre dense (2h30) et tendue (re)plongeant sans ménagement dans le cloaque Dutroux qui a laissé des traces et des cicatrices profondes dans la mémoire collective de la Belgique. Optant d’abord, dans ses deux premiers tiers, pour une approche réaliste, voire naturaliste, Du Welz prend son temps pour présenter les personnages (en particulier celui de Chartier et de sa belle-famille) et retracer l’enquête, tortueuse à souhait, des gendarmes à la recherche de deux petites filles disparues qui les mènera droit vers l’enfer. L’enfer de l’infamie humaine dans sa plus pure expression, et celle aussi d’institutions bureaucratiques veules et négligentes.

C’est dans le dernier tiers que Du Welz va s’éloigner franchement de ce réalisme âpre pour y préférer une sorte de catharsis fictionnelle («la puissance de la fiction pour transcender une tragédie», a résumé Du Welz) héritée du Tarantino d’Inglorious basterds et de Once upon a time in… Hollywood où le Mal (re)connu (Hitler, Manson ou Dutroux) est anéanti par le héros, Du Welz approfondissant alors (et assumant) la thèse du réseau pédophile souvent évoquée, mais jamais démontrée. Selon l’humeur, on trouvera ça relativement intéressant, ou alors assez maladroit. Ce qui, de toute façon, n’empêche pas le film de traîner ses casseroles, d’un rythme qui se perd dans quelques à-côtés inutiles ou mal développés (en particulier ceux concernant les personnages de Béatrice Dalle, Lubna Azabal et Félix Maritaud) à l’utilisation d’effets cinématographiques pas très subtils (la scène des cochons par exemple), en passant par une vision trop caricaturale de Dedieu et sa bande, jamais loin de ressembler à celle des rednecks dégénérés et cannibales de Massacre à la tronçonneuse. Imparfait donc, mais on retrouve ici le Du Welz furieux et inspiré qu’on a aimé avant et qu’on avait vu s’égarer, depuis plusieurs années, dans de pseudo drames psychologiques médiocres.

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mymp
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le 13 janv. 2025

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