Il y a une période de l’histoire qui revient très souvent dans les films de Kurosawa, celle du Japon d'après-guerre, et on peut comprendre ce choix. Pourquoi ? Parce qu'il peut traiter moult conséquences découlant de conflits antérieurs et qui ont touché la population. Souvent tragiques, mais toujours profonds, les malaises sont réels.

Le duel silencieux est inexorablement le duel d'un homme qui se bat contre lui-même. Toshiru Mifune incarne cette fois-ci un jeune médecin du nom de Kyoji Fujisaki qui va sombrer dans le doute, et qui va devoir recourir aux mensonges pour préserver les siens de la vérité. Quelle vérité ? Lors d'une opération à mains nues d'un soldat de la guerre 39-45 atteint de la syphilis, Kyoji se blesse au doigt et se fait contaminer, sans aucune porte de secours possible... autrement, c'est un état d'esprit qu'il va tenter d'adopter pour ne pas se laisser mourir à petit feu. La trame est simple et elle suit une ligne directive bien tracée, mais c'est la force émotionnelle qui prime d'abord.

Aux commandes de ce film Kurosawa n'était pas dans tous ses moyens, en revanche il a réussi à traduire la mélancolie des rapports sociaux dans de superbes séquences, comme il est toujours parvenu à le faire finalement. Il met sous nos yeux la descente obscure du personnage principal. Sans être parfaitement abouti, il est difficile d'être insensible au rôle de Mifune. Il joue remarquablement cet homme à la fois humaniste et rongé par la colère, ses maux qu'il n'arrive pas à s'enlever de la tête le tourmente. Il est à bout de souffle - et il a besoin d'évacuer, ce qui nous amène notamment un lot de scènes intenses - parce que de façon paradoxale, sa lutte débute quand celle du monde se termine au milieu des années 40. Tout le long, il s'inflige une torture morale, car il veut rester fidèle à ce qu'il est, c'est-à-dire, noble et courageux. Cette maladie qui l'affecte n'est pas mortelle, mais il mettra du temps à s'en remettre, il le sait éperdument et il s'acharne alors à avancer devant l'adversité de tous les instants. En quelque sorte, en sacrifiant l'amour qu'il porte à sa promise, il donne au contraire une des plus belles preuves "d'amour" qu'il puisse offrir. Il souffre en silence.

On me chuchote à l'oreille qu'il est considéré comme une oeuvre mineure de Kurosawa... foutaises ! Si c'est ça un film "mineur", j'en redemande et le fait qu'il soit méconnu me paraît désormais étrange. Il a quelques lacunes, des imperfections et des instants d'inégalité. Toutefois, en l'état, Le Duel silencieux est une esquisse mélodramatique, intimiste et qui tourne à l'obsession, portant fièrement la marque du cinéaste qu'il confirmera d'ailleurs dans ses oeuvres suivantes. Doté d'une esthétique visuelle tout à fait digne de compliments, celle-ci sert l'histoire du combat silencieux et solitaire du docteur qui en vient à renoncer à tout. Ce n'est pas foncièrement personnel, puisqu'il souhaite plus que tout assurer l'équilibre de ce qui se trouve autour de lui. Les désastres de la guerre sont venus sonner à la porte de sa clinique.
Eren
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le 16 août 2013

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