J'assume
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Comment ne pas aimer, quand on est parisien (et du coup nombriliste), quand on est français, ce film. Il n'y a pas plus français que ce film, pas plus vieille France peut-être - ce qu'on peut lui reprocher. Mais il n'y a pas beaucoup plus sensible et sincère, simple et touchant. L'émotion effleure chaque visage et chaque chose, les objets de nos mémoires, cette petite boite rouillée où s'entassent les souvenirs d'une enfance révolue.
Voir des rues que tout le monde connaît stylisées à ce point, ponctuées de vert et de jaune, deux couleurs prédominantes dans ce film qui lui confèrent une atmosphère si particulière c'est extatique. On croirait des photos vétustes, laissées à l'abandon et à la merci de l'humidité au fond d'une cave qui rejaillissent subitement aux yeux du spectateur nostalgique. Ce film est si parisien, si français, il respire la mélancolie, toujours douce, jamais amère. Certains le lui reprochent : pour ces gens l'art devrait être cynique. Dans une société où on érige Houellebecq en modèle (que j'apprécie au demeurant), où on apprécie le cynisme, la dureté, le réalisme cru, la fantaisie, la naïveté, la sincérité dérange. C'est dommage. Jeunet nage à contre courant. Ca fait du bien.
Ce n'est pas que Paris qui est belle, ce sont ses petites gens. Jeunet nous impose des acteurs qui ont des gueules, des têtes remarquables, reconnaissables entre mille. Il leur donne le goût des choses simples. Ils pourraient être ces types que l'on croise au détour d'un troquet quelconque dans une rue parisienne, ils sont l'âme de la ville, le microcosme des petites choses et des plaisirs simples : on prend plaisir avec eux à décortiquer les sot-l'y-laisse, à jouer aux jeux à gratter, à faire des ricochets sur le Canal Saint-Martin, à rassembler les photos de photomaton avec la passion d'un enfant dans des albums fabuleux parsemés de visages anonymes dont on s'imprègne de la vie.
Parfois quand je déambule à Montmartre, à Gare de l'est, ou au Canal Saint Martin je me remémore le film, je me demande si tout cela existe. Je regarde près du photomaton si quelques photos ne trainent pas dans la poubelle, mais rien. Personne ne jette jamais de galet dans le canal. Dommage. Mais dans cette immense communauté de destin où les anonymes se cotoient au quotidien, je crois apercevoir parfois, au détour d'un couloir ou d'une rue, un de ces personnages fabuleux de Jeunet. Je suis sûr que derrières les façades hausmaniennes, inexorablement grises, se terrent ces âmes mélancoliques.
Ce film, c'est l'art des choses simples. On croirait du Francis Ponge, avec sa poésie de l'insignifiance, du Pérec avec son énumération constante des choses quotidiennes. C'est l'éloge de la simplicité. C'est le constat nostalgique et onirique d'un monde sur le point de disparaître. Les commentaires avec la voix grave et douce de Dussollier achèvent de dresser le portrait délicat de ce petit monde parisien, à l'instar de l'homme de verre qui s'efforce avec minutie de repeindre éternellement les mêmes personnages d'un même tableau, personnage d'une grande poésie. C'est le portrait de destins tout petits, modestes et seuls. L'errance des passions quotidiennes.
Le plus paradoxal dans tout ça, c'est que Jeunet utilise des artifices, tout le temps : des filtres, des effets numériques, des montages complexes, mais ce qu'il en fait ressortir c'est une étonnante simplicité, une sorte de petite France toute gentille, toute mignonne, toute frêle. C'est comme si Paris avait toujours été comme ça, finalement. Mais ce Paris n'existe pas vraiment, je le cherche encore au détour d'une rue et parfois je crois le trouver, quelques instants fugaces avant qu'il ne disparaisse. Mais dès que j'entends la musique de Yann Tiersen, reconnaissable entre toutes, je me mets à y croire.
Et Amélie dans tout ça est le liant, la personne qui renoue les liens et réconcilie tous ces personnages esseulés avec leur monde. Sans elle, les "émotions d'aujourd'hui ne seraient que les peaux mortes des émotions d'autrefois."
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le 9 août 2013
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